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raîchement viré, le producteur/réalisateur Ichirô Monzen entend prendre sa revanche. Il en trouve le moyen à travers Harumi Nagisa, chanteuse masquée, elle aussi récemment remerciée par la firme Takenaka pour avoir montré son visage et plombé son dernier spectacle. De fait, il découvre une jeune femme au physique disgracieux qui devient d’une beauté radieuse lorsqu’elle est affamée. Il décide donc de la lancer sous le pseudonyme de Mié Sayuri. Cependant, ses méthodes ne sont guère du goût d’Otohiko Yamabe, mangaka en mal de succès et fiancé d’Harumi, qui tente de dissuader sa dulcinée de céder aux sirènes de la célébrité. Lors d’une confrontation entre les deux hommes, l’artiste fait une chute terrible d’un immeuble. La panique passée, Monzen se croit libéré de l’importun, ignorant qu’en fait, ce dernier a survécu sous les fondations de l’édifice. Mais, privé de nourriture et manquant d’air, Yamabe est plongé dans un état second où il évolue en pensées dans Diletta, le monde qu’il a imaginé dans ses œuvres. Un don qui va se révéler des plus puissants et qui pourrait constituer une arme fatale entre des mains malintentionnées.
Osamu Tezuka était-il amer et désillusionné par rapport au microcosme artistique nippon de la fin des années soixante ? Probable au vu de La grande pagaille du Diletta, publié au Japon en 1968 et que les éditions FLBLB ont fait paraître au format d’un pavé de trois cent quatre-vingt six pages à l’automne 2013. Sur un mode caricatural, le créateur d’Astroboy y dépeint avec âcreté et sans aménité un univers du show-business et des média pour le moins impitoyable, peu enclin aux états d’âme ou aux problèmes de conscience. Si les actes de certains personnages ou leur façon d’être peuvent sembler outrageusement excessifs, la critique n’en possède pas moins un caractère troublant qui pique au vif, parce qu’elle trouve des échos aujourd’hui encore.
Entre les stars fabriquées de toute pièce et « fausses » - un crooner sans voix, une chanteuse qui n’est belle que le ventre désespérément vide -, les journalistes people à l’affût du moindre détail un peu croustillant à se mettre sous la dent, les producteurs flairant les bons filons pour se faire un maximum d’argent, les politiques avides de pouvoir, tous en prennent pour leur grade, même le génie qui ne résiste pas aux pires inclinations. Néanmoins, l’œuvre va plus loin, dénonçant la manipulation et l’aliénation des masses par les moyens de communication à l’aide des images et du passage du virtuel dans le réel, via les facultés de Yamabe. Vertigineux, le monde du Diletta s’avère sans concession et offre bien des visions cauchemardesques qui renvoient chacun à ses défauts les plus cinglants.
Bien que profondément intéressant par son propos, l’ouvrage démarre assez laborieusement et la pagaille du titre se reflète dans la forme. En effet, le déroulé se révèle un peu confus par moments et part quelquefois dans tous les sens. Un défaut qui pourra rendre la lecture malaisée, malgré les qualités d’un dessin en noir et blanc qui apparaît comme lâché, décomplexé.
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