E
n visitant Kaïyuan, ville industrielle du sud du Yunnan, M. Li est intrigué par le cimetière des étrangers, site à l'abandon qui ne semble guère intéresser la population. Au musée du rail, il découvre qu'une équipe d'ingénieurs venue de France a entrepris, il y a un siècle, de construire l'une des lignes de voie ferrée les plus hautes du monde. Inspiré par le lieu et son histoire, il engage un véritable travail d'exhumation de ce legs technologique. Entre 1903 et 1909, le gouverneur d'Indochine programme une gigantesque percée ferroviaire vers les richesses du Yunnan. C'est le chantier de tous les superlatifs : perchée jusqu'à plus de deux mille mètres, cette liaison ferroviaire de 855 km a nécessité le percement de 195 tunnels, 3.456 ponts et viaducs, mobilisé 67.000 ouvriers et coûté la vie à 12.000 d'entre eux ainsi qu'à 80 techniciens.
Après Les pieds Bandés, Li Kunwu plonge à nouveau dans le passé de son pays. Plutôt qu'un récit attendu d'une épopée industrielle, La voie ferrée au-dessus des nuages est un compte-rendu des recherches de l'auteur sur ces mystérieuses tombes oubliées. De visites dans les musées aux rendez-vous avec des traductrices, en passant par un centre culturel francophile, il exhume un authentique trésor : les photographies du sieur Marbotte, reproduites sur la moitié des planches, qui, avec son appareil, a saisi un formidable panorama de l'Empire du Milieu à la veille de la révolution. Images des travaux, de l'horreur des forçats avec leur cangue et des têtes coupées, de la solennité des mandarins aux costumes chamarrés, des paysages à la beauté disparue. Cette aventure prend une étrange perspective : un asiatique qui révèle la société d'antan vue par les Européens de la Belle Époque. Il est alors question d’une nation indolente poussant le raffinement dans la plus sournoise. À l'instar de son sujet, le graphisme navigue avec aisance entre tradition et modernité. Si les vignettes où apparaissent des personnages ont un trait brut qui ne déparerait pas en Occident, les décors naturels ont la grâce vertigineuse des peintures shanshui.
Plus que la réminiscence d'un extraordinaire édifice colonial, La voie ferrée au-dessus des nuages pose la question du patrimoine récent et de sa conservation, ainsi que celle des rapports des Chinois avec un passé que le maoïsme a effacé. Un manhua passionnant, accessible même aux plus indécrottables détracteurs des œuvres en provenance d’Orient.
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