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iani et Nouredine se côtoient depuis l'enfance. L'un est d'origine italienne, l'autre kabyle, des « deuxièmes générations » comme on dit. Ils bossent ensemble au chantier naval, enfin quand il y a du boulot. Giani est plutôt bonne pâte et suit à la lettre les consignes du syndicat. À l'opposé, Nouredine est un teigneux, un individualiste qui préfère l'action aux négociations. Il paraît qu'il tient ça de Lounès, son père qui a préféré quitter l'Algérie au moment de son indépendance...
Pour la première fois dans sa carrière, Baru délaisse ses pinceaux et se concentre sur les mots. Un scénario militant (racisme, engagement social), un duo de copains issu de l'émigration et beaucoup d'énergie, l'auteur de L'autoroute du Soleil semble réciter ses gammes. Même si le cadre n'étonnera certainement pas les connaisseurs du bonhomme, force est de constater que le scénariste réussit à dépasser ses habitudes narratives en proposant une intrigue des plus passionnantes, autant sur le fond que sur la forme. Construit autour d'une multitude de retours en arrière finement imbriqués, le récit est composé d'une étrange mosaïque mêlant le passé (la jeunesse des deux héros, les années de combat dans le maquis algérien) au présent (grève et lutte pour préserver les emplois). Séquence après séquence, le tout se met en place et le lecteur, accompagnant Giani, comprend la vraie nature du courroux de Nouredine. Le résultat est impressionnant de justesse et de probité.
Après Au Rallye et l'excellent Celle qui réchauffe l'hiver, Pierre Place s'est mis dans la peau de Baru pour illustrer Le silence de Lounès. En effet, les premières planches portent la marque du natif de Thil (silhouettes en déséquilibre, compositions plaçant l'homme dans son contexte socioprofessionnel, etc.). Heureusement, cette approche un peu trop respectueuse s'estompe rapidement et le dessinateur ne tarde pas à imposer son propre style à l'ouvrage. Le travail sur les personnages est particulièrement remarquable (les émotions, les petites gênes) grâce à la précision du trait et à l'utilisation de l'aquarelle pour la mise en couleurs.
Mêlant destinée tragique, histoire contemporaine et réalité économique, Le silence de Lounès se révèle être un album des plus pénétrants.
Baru nous propose une nouvelle chronique sociale assez marquée dont les thèmes sont le dernier combat des ouvriers de chantiers navals ainsi que l’intégration des immigrés ayant quitté précipitamment l’Algérie après la guerre.
On suit notamment le destin de Gianni et Nouredine depuis leur enfance. Cela manquera parfois de cohérence avec de nombreux flash-back qui nous feront perdre le fil du récit. J’ai eu du mal à identifier certains personnages. Du coup, j’avoue avoir eu un problème de compréhension de cette histoire aux multiples ramifications familiales autour d’un silence et d’un secret bien gardé.
Le final sera assez marquant sur fond de colère. La sensibilité sociale de l’auteur ne plaira pas à tout le monde. Cependant, ces thèmes appellent à la réflexion pour construire un monde meilleur.