P
our une majorité de bédéphiles, Canardo est une collection à part dans le paysage. Au premier regard, elle pourrait passer pour un point de passage entre les histoires animalières de l'enfance et la BD adulte. Vu de près, la situation est évidemment toute différente puisque Benoît Sokal va beaucoup plus loin dans l'exploration narrative. Pendant longtemps, l'auteur, tel un aventurier entrant dans un monde inconnu, était prudent et laissait ses protagonistes errer dans une troublante copie anthropomorphique et désabusée de notre société. Ensuite, la donne a quelque peu changé. De roman existentiel, le ton est passé à polar tout court pour en arriver à un pamphlet ironique sur fond d'intrigue vaguement définie, comme c'est notamment le cas avec Le vieux canard et la mer.
Chargé de retrouver la femme d'un homme d'affaire influent kidnappée par des « pirates », Canardo, flanqué d'un jeune compagnon (le fils de sa sœur) pour l'occasion, débarque au Koudouland, une ex-colonie du Grand-Duché du Belgambourg. Corruption à tous les étages, mondialisation, impérialisme économique et culturel, consumérisme, « starification » instantanée... le scénario d'Hugo Sokal tire dans tous les sens et aligne ses cibles comme à la fête foraine. Répliques sournoises, critiques justifiées d'un système qui marche sur la tête, attaques qui font mouche et humour acide à souhait, tout y est, ou presque. Attendez un instant, ce n'est pas un numéro de Charlie Hebdo... Où est donc le héros ? Tiens, le voilà, dans le coin, qui trinque avec ce vieux Ballingway (lui-même réduit à une caricature comparable à celle du Général Alcazar dans Tintin et les Picaros). Quand le protagoniste principal devient encombrant, voire inutile, c'est qu'il y a quelque chose qui cloche et que, peut-être, le temps de la retraite est venu. Ici, le scénariste semble avoir été passablement embêté par le palmipède. D'ailleurs, il l'escamote assez rapidement pour laisser la place aux autres personnages. Résultat, un album, certes grinçant, mais à la narration très linéaire et qui, à force de confondre dénonciation et cynisme, finit par s'enliser dans ses propos.
Benoît Sokal, grand adepte de l'informatique dans la création, utilise logiquement ses connaissances dans le domaine pour sa série phare. Assisté à la palette graphique de Pascal Regnauld, sa mise en page est efficace et arrive bien à se jouer des pièges (longs dialogues et un nombre de cases impressionnant) que son fils lui a concocté. Le découpage en quatre voire cinq bandes n'empêche pas une bonne lisibilité, même si c'est au prix de certains détails. Ainsi, particulièrement en gros plan, il est difficile de discerner l'oncle du neveu. Autre bémol, la colorisation très froide et uniforme se distingue par une absence de nuances. Approche formatée et ambiance un peu quelconque, Le vieux canard et la mer (pourquoi ce titre, d'ailleurs ? ) se laisse lire, mais manque dramatiquement d'âme.
Terriblement verbeux, cet album ! Heureusement, on aperçoit parfois un bout de dessin, entre les bulles de dialogue. Il y a quelques bonnes réparties, le petit neveu de Canardo est un personnage attachant et rafraîchissant, mais tout est beaucoup trop politique et bavard pour moi.
Et pour répondre à la question du chroniqueur A.Perroud qui se demande : "Le vieux canard et la mer (pourquoi ce titre, d'ailleurs ?)" il me semble évident que c'est en référence au roman d'Hemingway (cf Ballingway dans l'album) Le vieil homme et la mer.
À quand la fin de ce massacre.....
Je viens de lire ce nouveau Canardo et comme chaque année à chaque parution depuis maintenant un sacré moment j'ai dans l'espoir de retrouver un semblant de nostalgie, de retrouver ce personnage que j'ai tant apprécié dans ses premières aventures comme "L'Amerzone" ou bien encore les "Noces de brume", ces histoires sombres et ce dessin que j'adorais mais non, comme à chaque fois je finis sur une déception.... Le dessin est grossier, sans charme (vive l'ordinateur), l'histoire de pire en pire sans chute, sans mystères, une histoire bateau, du déjà vu....
Rendez à ce pauvre Canardo un semblant de dignité, laissez le prendre sa retraite.... Ou pour être plus radical, une fin à la Cosmik Roger
Je dis tout ceci avec quand même un pincement au coeur
Enfin un nouveau Canardo drôle et d'actualité. Le cynisme à l'égard des anciennes colonies, la fraude fiscale, le merchandising d'un dessin animé, les réseaux sociaux, le tourisme exotique, les enfants qui méritent des baffes, tout y passe avec bonheur et délectation. Une chouette enquête menée de main de maître par notre canard désabusé préféré.