« Je sais que l’éducation de cette enfant sera le principal événement de ma vie ». Celle qui prononce ces mots, Annie Sullivan, revient de loin. Malvoyante, elle passe ses premières années dans l’hospice de Tewksbury, tristement réputé pour son insalubrité et les conditions de vie déplorables qui y règnent, avant d’être envoyée à l’Institut Perkins, spécialisé pour les aveugles. Monsieur Anagnos, le directeur de l’établissement, se laisse séduire par le caractère entier et colérique de la jeune fille et aussi, et surtout, par sa vivacité d’esprit. Quelques années plus tard, alors qu’elle maîtrise avec brio la langue des signes, il l’envoie dans l’Alabama pour s’occuper d’Helen, une enfant de 6 ans, aveugle et sourde.
C’est cette rencontre que narre l’auteur, Joseph Lambert, dans Annie Sullivan & Helen Keller. La petite Helen n’a pour ainsi dire aucune base et ne supporte pas le contact avec d’autres personnes que ses parents ; il y a quelque chose de très sauvage chez elle - imaginez les moyens dont elle dispose pour communiquer avec l’extérieur, et inversement, à l’époque des faits (fin XIXe) aussi bien que dans l’absolu. Annie Sullivan s’est hissée dans l’adversité, à force de volonté. C’est une écorchée vive qui peut parfois avoir le tempérament d’une mégère. C’est ce trait de caractère qui lui permet d’apprivoiser la petite, de pénétrer son univers. De leurs confrontations et de leurs difficultés naît une émulation salvatrice, de celles qui invitent à s’élever.
L’histoire est belle, très belle. Elle est racontée sans verser dans un registre larmoyant ou convenu qui ne s'accorderaient de toutes les manières aucunement à la personnalité des deux protagonistes. Joseph Lambert donne à percevoir les handicaps d’Helen par ses choix graphiques, présentant sa perception de ce qui l’entoure par le vide, l’obscurité. Avec un dessin sans fioritures, il parvient par ce biais à donner à voir à son lecteur les progrès de la fillette dont l’environnement, petit-à-petit, se meuble, prend forme, prend sens.
« C’est un rare privilège d’assister à la naissance et à l’éveil d’un esprit » (Annie Sullivan - 1866/1936).
J'aurais aimé être plus sensible que cela à ce récit d'une aveugle et sourde qui retrouve la faculté de communiquer grâce au travail admirable de sa préceptrice. Cette petite famille réussira à sortir du néant. Je ne comprends pas pourquoi l'alchimie n'a pas fonctionné alors que c'est plutôt mon genre. Ais-je alors été rebuté par la laideur extrême du graphisme alors qu'il y a certaine audace?
Je ne connaissais pas cette histoire qui donne lieu à un jour de célébration aux Etats-Unis. La bd se termine par une note assez négative sur une supercherie soi-disant commise. Il faut se concentrer à l'extrême pour bien saisir les subtilités de la méthode pédagogique d'Annie Sullivan. Les flash-back sont mal insérées. On ne comprend pas ce qui se passe.
Par ailleurs, le texte possède trop d'onomatopées inutiles. Néanmoins, cela reste tout de même une belle leçon d'humanité.
Une construction plate et un dessin monotone |
Voilà une rencontre bien singulière entre une enfant de 6 ans, aveugle et sourde, et une jeune femme mal voyante, au parcours chaotique, qui devient sa professeure. C’est l’histoire d’Helen Keller et Annie Sullivan. Joseph Lambert nous narre la rencontre de ces deux personnalités esseulées, mais à la volonté de fer. On suit les apprentissages quasi miraculeux d’Helen, rendus possibles grâce à la persévérance et le tempérament d’Annie. Et au rythme des progrès de la petite, on apprend le passé d’Annie et les conditions déplorables dans lesquelles elle a pu grandir.
L’histoire d’Helen Keller est une référence aux États-Unis où elle est devenue un personnage publique reconnue. Force est de constater que son itinéraire est remarquable et intéressant pour bien des raisons. Néanmoins, j’ai trouvé le récit un peu plat. L’auteur joue bien des flash-back pour donner de la dynamique au scénario, mais le résultat demeure très linéaire.
Et malheureusement le dessin n’est pas en capacité de relever cette bande dessinée. Joseph Lambert traduit bien le vide qui entoure Helen et la façon dont elle arrive à assimiler les mots. Mais tout cela reste un peu simpliste à mon goût et je n’ai pas été sensible au supposé charme de son trait.
Une sélection du dernier festival d’Angoulême qui m’échappe (une nouvelle fois).
http://bdsulli.wordpress.com/
Sans esbroufe, Joseph Lambert parvient à faire passer une belle émotion en s’effaçant derrière un minimalisme pudique et respectueux. L’approche graphique du non-visible (incluant l’apprentissage de la langue des signes) est très originale, permettant de nous faire ressentir, nous les voyants, ce que cela signifie que d’être aveugle et sourd à la fois, comme si l’un des deux ne suffisait pas… On pourra reprocher quelques toutes petites incohérences narratives et des couleurs un peu trop basiques, mais l’histoire de ces deux personnages est si prenante que cela passe au second plan.
L’amitié entre Helen Keller et Annie Sullivan, ces deux êtres dont la révolte chevillée au cœur et au corps face aux cruautés de la vie s’est transformée en force, est particulièrement poignante, et il faudrait être handicapé des sentiments pour ne pas verser sa petite larme au moins une fois à la lecture du livre. De plus, leurs souffrances ne s’arrêtent malheureusement pas à leur champ de vision, mais sont provoquées aussi par la vanité et la bêtise des soi-disant voyants : les professeurs de l’institut Perkins firent subir à la jeune Helen un interrogatoire de deux heures à cause d’une stupide histoire de plagiat. C’est ainsi que l’on se dit que les aveugles (ou les sourds) ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Une belle œuvre tirée d’une belle histoire, à découvrir. Un de mes coups de cœur de l’année.