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aul et Louise s’aiment et se marient peu avant que le service militaire puis la guerre ne les séparent. Pour échapper à l’enfer des tranchées, le jeune marié se mutile, puis déserte. Aidé par sa dulcinée, il se réfugie dans la chambre étriquée d’un hôtel miteux. Hanté par ce qu’il a vécu, ne supportant plus l’enfermement, il n’a qu’un désir : sortir. Mais le peloton d'exécution l’attend s’il est repris. C’est alors que germe l’idée qui va le sauver. Troquant le pantalon pour la jupe, Paul devient Suzanne.
Un dos nu, des poings sur les hanches, une tête inclinée vers le visage à l’œil brillant de celle qui, toute de rouge vêtue, entreprend, dans un enlacement fugace, d’agrafer un soutien-gorge. Pénétrant au cœur de l’intimité de deux êtres, la couverture donne immédiatement le ton du nouvel album de Chloé Cruchaudet (Groenland Manhattan, Ida). Amour, complicité et drame.
S’appuyant sur l’essai historique de Fabrice Virgili et Danièle Voldman – La garçonne et l’assassin, paru chez Payot en 2011 -, l’auteure entraîne le lecteur dans le sillage d’un couple qui fit l’objet d’un fait divers survenu dans le Paris des Années folles. Habilement, elle retrace le parcours atypique d’un déserteur devenu travesti par nécessité et qui s’est pris au jeu au point d’en faire son gagne-pain, tout en explorant les possibilités offertes par son ambivalence. Débutant l’album par une scène au tribunal, elle revient ensuite en arrière pour raconter le périple du duo jusqu’au dénouement inévitable et, en partie, inattendu.
Au-delà de l’expérimentation à la croisée des genres, Chloé Cruchaudet s’attarde sur ce qui a conduit Paul Grappe à changer de personnalité, soulignant en particulier l’impact du premier conflit mondial. Elle dresse le portrait d’un homme perdu, aux émotions à vif, comme tordu et tronqué par les horreurs vues sur le champ de bataille, comme englouti par les démons qui l’habitent et happé par l’univers singulier qui s’ouvre à lui, une fois métamorphosé en Suzy. La relation entre ce-dernier et Louise, son épouse, est développée sans fard, laissant transparaître le tourbillon des sentiments qui les étreint, dans lequel la pitié et la haine ne sont pas absentes, nichant, au contraire, au sein même de l’élan amoureux et de la tendresse transformée progressivement en violence.
L’histoire est joliment portée par un trait délié, fin et expressif, tandis que le découpage s’affranchit des limites des cases pour livrer des vignettes aux contours flous, à l’instar des vieilles photographies de l’époque. La technique au lavis, que ne rehausse par moments qu’une touche significative d’écarlate, renforce le côté ancien, tout en s’accordant très bien au milieu décrit, celui des prolétaires parisiens et des faubourgs de la capitale.
Passionnant de bout en bout, Mauvais genre est de ces bandes dessinées qui résonnent encore une fois achevées. À lire !
Tout commence par un procès, celui de Paul Grappe… A l’époque, ce fait divers avait fait grand bruit. Mais reprenons les faits : un jeune couple est brusquement séparé par la Première Guerre mondiale qui vient d’éclater. Traumatisé par l’enfer des tranchés, Paul Grappe finit par se mutiler puis déserte. Vivre dans la clandestinité a ses limites. Pour pouvoir sortir, il devient Suzanne et s’habille en femme. Inspiré de La Garçonne et l’Assassin des historiens Fabrice Virgili et Danièle Voldman, le très bel album de Chloé Cruchaudet déroule tout en sensibilité cette histoire à la fois belle et tragique. La transformation de Paul en Suzanne est poignante, le désarroi de sa jeune épouse est émouvant, le plaisir grandissant de Paul est bouleversant. On sent que la transformation de Paul risque d’aller au-delà de la simple tenue vestimentaire… Quelle est la part du choc post traumatique dû à la violence de la guerre ? Quelle est la part de féminité profondément ancrée en Paul ? Le sujet est sérieux, le traitement, intelligent. On passe par toutes la gamme des émotions : amour, complicité, effroi, violence, trahison... Le découpage est réussi et porte l’histoire avec subtilité. Le dessin, tout en lavis, réinterprète les images du début du XXe siècle en en conservant l’esprit. Un vrai coup de cœur.
Je vais relever un peu la note de cette oeuvre qui vient de remporter un prix (celui du public) lors du festival d'Angoulême 2014. Autant Come Prima ne m'avait guère convaincu, autant j'ai été séduit par cette oeuvre très originale tirée d'une histoire vraie.
C'est l'histoire d'un couple hors du commun lors de la Première Guerre Mondiale et les années folles qui ont suivi. La psychologie sera de mise pour une interprétation hors pair. Il est question du respect des normes et surtout de leur transgression. Sexe, amour, jalousie, passion: un cocktail vraiment explosif. Même la mise en scène via l'enchaînement des cases est singulière. Il y a également un glissement progressif de Paul. Bref, tout semble parfaitement dosé.
Pour moi, c'est cette oeuvre qui aurait dû remporter le grand prix. Il n'y a pas photo. Mais bon, ce n'est déjà pas si mal. Et puis, les planches sont simplement magnifiques. La confusion des genres et le traumatisme de la guerre portent cette bd à un très haut niveau. En tout cas, c'est d'une rare intelligence.
excellent album lu il y a quelque temps..
je veux attirer l'attention sur le traitement qu'en a fait Andre Techine dans un film "Nos annees folles", avec Celine Salette exceptionnelle, etP.Deladonchant....Transposition fidele et reussie (sauf la mise en route laborieuse ,manque de moyens?..).
Neanmoins le cote poetique du dessin,l'imaginaire, est gomme au profit du pratique, du terre a terre...du travail des acteurs..
C'est bien aussi,mais vive la BD!!
J'ai longuement tourné autour avant de me décider, et bien m'en a pris. C'est très très bon.
L'histoire (vraie) d'un couple un peu barré qui se retrouve enfermé dans les conséquences en cascade d'une décision structurante. Ils vivent, ils s'aiment, ils s'engueulent, ils se soutiennent, ils se provoquent, et petit à petit l'impact de cette décision les change. La réflexion sur le choix dans un couple est bien décrite, et celle sur l'identité, la liberté, et l'affirmation de soi est magistrale.
Le dessin sublime l'histoire, en lui apportant une expressivité incroyable et une tendresse poétique, avec des couleurs étonnantes mais parfaites. Je n'ai pas lu le roman mais ai apprécié la parfaite harmonie entre le dessin et le récit.
Au final, une vraie belle surprise pour cette oeuvre originale et forte. A lire.
Etait il possible de faire un mauvais livre à partir d'une aussi bonne histoire...peut être pas mais en faire une bd géniale c'était moins sûr.
Histoire exceptionnelle, dessins et couleurs non policés auquels on se fait rapidement et qui sert l'histoire et nous fait pénétrer dans l'histoire de ces 2 personnages qu'on aime et qu'on déteste à la fois.
Pour la morale chacun se fait la sienne et moi j'aime ça.
Merci Chloé CRUCHAUDET pour ce très bon moment !!
Comment échapper à la Guerre ? En se travestissant... bonne idée...
mais, ici la transformation ne va pas qu'être physique.
L'intérêt de cette histoire porte également sur les relations entre les hommes et les femmes du début du XXème siècle.
Était-il possible de faire un mauvais livre à partir d'une aussi bonne histoire que celle qui est à la base du livre de Chloé Cruchaudet ? La question vaut la peine d'être posée, tant sont fortes les émotions, l'enthousiasme même que l'on ressent à la lecture de ce "Mauvais Genre" : l'histoire de ce double déserteur, abandonnant le service de la patrie pour survivre, avant d'abandonner son genre (masculin) pour mieux jouir de la vie, est forte, très forte, à la fois tragiquement humaine et superbement exemplaire. Bien entendu, au sein du débat français sur le genre, justement, il hérissera ceux qui aiment que les individus restent à leur place, et qui, comme les juges de la BD, feignent d'ignorer l'appel enivrant de la chair. Les autres accepteront la griserie de cette liberté nouvelle offerte par la transgression... même si "Mauvais genre" aurait sans doute gagné encore de la force à être plus sexuellement explicite, à sortir de la bienséance de la BD acceptable pour le grand public. Le très beau dessin de Cruchaudet, la mise en page originale, l'utilisation pertinente du noir et blanc (... et rouge) font de "Mauvais genre" une vraie réussite esthétique, même si cette belle forme passe au second plan par rapport à la puissance et l'originalité du récit.
Une histoire grandiose, au parfum de scandale, d’un être traumatisé qui ne sait plus vraiment qui il est. Un récit épatant, bouleversant. Un vrai et gros coup de cœur.
http://aumilieudeslivres.wordpress.com/2013/11/06/mauvais-genre-chloe-cruchaudet/
Lecture difficile pour moi, car je n'ai aucune empathie pour le personnage, même si je comprends son envie de désertion après la grande boucherie. Mais j'ai beaucoup de mal avec les hommes violent avec les femmes, même s'ils se déguisent. Ce mal à l'aise m'a gâché la lecture, et si le dessin est virtuose et bien adapté au récit, cela ne suffit pas pour me donner du plaisir.
Pas concerné, pas touché par cette histoire, je suis passé à côté et ne partage pas les commentaires dythirambiques.
Le festival d’Angoulême a le sens de l’actualité ! En pleine polémique sur la théorie des genres, le festival a consacré "Mauvais genre" de Chloé Cruchaudet. Et il faut dire que ce fait divers sur la confusion des genres est bouleversant.
Paris, 1914. L’histoire de Paul et Louise débute de manière assez ordinaire : une jeune fille et un jeune homme se rencontrent, ils s’aiment puis se marient. Mais leur destin va prendre une drôle de tournure lorsque Paul, inévitablement appelé au front, décide d’échapper à ce carnage. Désormais déserteur, il est contraint de se cacher. Et un soir de printemps, l’envie d’air extérieur est irrépressible. Il décide alors de sortir grimé en femme, dans les vêtements de Louise.
L’histoire forte d’un déserteur devenu travesti
Les années se succèdent et ce qui n’était qu’un subterfuge devient alors une transformation profonde d’habitude, de sexualité et de personnalité. On assiste à la métamorphose de Paul en Suzanne qui devient une figure notoire du bois où s’expriment toutes les excentricités sexuelles.
La réalisation graphique est à l’image du personnage de Paul (ou plutôt Suzanne) : aussi sombre que délicate. Elle alterne les passages ténébreux de batailles de tranchées, les moments de douce euphorie pimentés par des touches de couleurs, et les séquences rythmées d’agitation. La mise en scène bénéficie néanmoins d’une grande fluidité. L’effet d’ambiance est brillamment vieilli et les silhouettes sont élégantes. C’est très joli !
« Mauvais genre » est une BD qui laisse des traces.
http://bdsulli.wordpress.com/
Cet album a très bonne presse. Pour qu'on en parle en dehors des médias spécialisés, c'est qu'il a quelque chose de particulier, qui cause à d'autres qu'aux bédéphiles.
C'est vrai que le thème est fort, d'autant plus fort qu'il est inspiré d'une histoire vraie. Un homme qui se transforme en femme pour sauver sa peau, c'est vraiment une idée courageuse pour l'époque, audacieuse et pertinente.
Après, le bonhomme est somme toute un odieux personnage, et il ressort de la lecture que, tout femme qu'il paraît, il les porte en faible estime, à commencer par la sienne.
Graphiquement, l'idée de poser du rouge sur certains personnages est intéressante et utile (j'ai eu parfois du mal à distinguer les personnages les uns des autres)...
Cette BD est donc à lire surtout pour le témoignage qu'elle porte et pour son aspect artistique parfaitement approprié au récit.
Magnifique, à tous points de vue !
Cela fait longtemps qu'un album ne m'avait pas autant touché et ému. Une histoire et un dessin avec une sensibilité...toute féminine.
Une très belle réussite et à coup sûr une des bd de l'année. Bref, n'hésitez pas, foncez chez votre libraire, et vous ne serez pas déçu...