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édée est l'un des personnages les plus controversés et les plus dépeints de la mythologie grecque à travers les millénaires, que ce soit par la littérature, le théâtre, la peinture, les opéras ou les médias modernes. Traître à sa patrie par passion, puis trahie par son amant, magicienne coupable de nombreux meurtres jusqu'au plus abominable : pour punir l'infidèle, elle ne se contente pas de brûler vive sa rivale et sa famille, mais égorge ses propres fils. Après avoir tenté d'empoisonner Thésée, elle retourne en Colchide rasseoir son père déchu sur le trône. Incarnation du chaos, de la démesure, des cultes mystérieux auxquels s'adonne le sexe faible en secret, cruelle, folle, barbare (forcément, car étrangère), instruite, incontrôlable et triomphante, Médée concentre la terreur qu'inspire la femme aux Grecs misogynes. Certains pardonneront ses excès en la déclarant victime de l'Amour, utilisée puis jetée par Jason. Or, loin de se soumettre au caprice du mari comme une bonne épouse athénienne, elle se rebelle et devient une figure inattendue d'émancipation féminine sous la forme d'une puissante thaumaturge qui brise toutes les chaînes du patriarcat, défie rois et héros, et prend les rênes de sa destinée sans que personne ne puisse s'y opposer. Enfin, la psychiatrie fait revivre son mythe, inscrivant son nom dans l'actualité des faits divers en tant que syndrome de la mère toxique qui réduit (et détruit) sa progéniture en objets de vengeance dans les drames de la séparation.
Amoureuse extrême, image féministe, monstre infanticide, c'est avec ce formidable matériau que Blandine Le Callet, romancière et maître de conférences à l’université Paris XII, fait ses premiers pas dans la bande dessinée comme scénariste. Elle met en scène une Médée joyeuse et insouciante, qui vit les meilleures années de son enfance, un vrai garçon manqué qui passe son temps à courir dans les jardins du palais, grimper aux arbres et défier ses quatre neveux du même âge. Mais la tragédie s'ourdit dans les coulisses : son frère unique, le prince héritier, est un débile affligé de violentes crises épileptiques, et le roi soupçonne son gendre de comploter pour placer ses petits-fils sur le trône. Et au moment de ses premières règles, la princesse est mise en apprentissage auprès du temple d'Hécate pour en saisir les secrets et, particulièrement, ceux qui soignent. Hélas, la démence du petit Absyrtos s’accroît et devient sanguinaire malgré les traitements, une préfiguration de celle qui enflammera l'esprit de sa sœur.
Ceux qui suivent les travaux de Nancy Peña, dessinatrice connue pour sa passion du japonisme (href="http://www.bedetheque.com/serie-14782-BD-Chat-du-kimono.html">Chat du Kimono) retrouvent avec bonheur sa marque de fabrique dans Médée : plissés et drapés somptueux, riches motifs des étoffes, carrelages et mosaïques. Avec son dessin naturaliste qui a la grâce et la simplicité d'un Mucha, elle a grécisé la quintessence paradoxale de la peinture japonaise du XVIIIe siècle : foison de détails et impression générale d'épure. La colorisation chaleureuse, aux rouges et ocres par endroit ternis, engendre la sensation d'entrer dans l'intimité de pièces aux fenêtres voilées, éclairées par des bougies.
Deux bonnes fées semblent s'être penchées sur le berceau de Médée, avec la caution d'une spécialiste et la délicatesse d'une artiste sensible : ce premier tome s'annonce comme les prémices d'une série de grande qualité.
J'ai bien aimé cette dernière oeuvre de ces deux auteures au féminin qui sont si souvent repoussées dans le monde masculin et singulièrement macho de la bande dessinée. Cela fait vraiment du bien !
Je trouve que nous avons là l'oeuvre la plus aboutie de Nancy Peña au niveau graphique. Par ailleurs, il y a une véritable construction du scénario qui va directement à l'essentiel et qui procure un plaisir de lecture.
Nous suivons le destin d'une famille royale dont le roi est plutôt cruel. On s'intéresse surtout à Médée, la fille du roi. Il y a une véritable ambiance pesante et de peur dans cette cour. On a hâte de découvrir la suite de cette grande aventure mythologique.
Paradoxalement, c'est un personnage comme Médée qui a inspiré la misogynie à commencer par les grecs. Elle va avoir un destin des plus terribles. On voit que rien ne lui a été épargné durant sa jeunesse. Bref, ces deux premiers tomes parviennent à convaincre totalement.
Il est temps pour Médée d’accomplir, dans un dernier sursaut d’absolu, un des derniers défis de sa vie fastidieuse. L’heure pour elle de dire sa vérité. Cette BD nous emporte dans le passé d’une des plus grandes héroïnes de la mythologie. C’est donc à juste titre que l’on replonge dans son enfance et une à une, les planches de Pena et Le Callet vont retracer la vie de cette femme scandaleuse.
http://aumilieudeslivres.wordpress.com/2013/12/18/medee-n-pena-b-le-callet/
Une très belle série qui débute, avec une Médée qui s'émancipe de ses seuls rapports à Jason. On la voit ici se forger au cours d'une enfance dominée par un père au bord de la folie, jeune femme forte en devenir. Un scénario solide tramé par une experte en mythologie gréco-romaine, Blandine Le Callet, et un merveilleux dessin de Nancy Pena qui semble si simple, ici rehaussé par deux coloristes efficaces.