Fenêtres sur rue : une pièce sans paroles, mise en scène par Pascal Rabaté. De la bande dessinée conçue comme du théâtre, réalisée à la peinture, inspirée du cinéma, un savoureux maelström artistique qui débarque en cette rentrée éditoriale sous les pinceaux du bédéaste angevin. Le décor : un bout de rue, quatre étroites façades et une quinzaine de fenêtres articulés autour d’un bistrot de quartier. Les personnages : une vingtaine de locataires, occupants, passants... et deux chiens ! L’histoire : la vie qui va, qui vient, les amours naissantes, finissantes, les petites amitiés, les infidélités, les solitudes emmurantes, les rencontres improbables. Et puis, ne dirait-on pas aussi un assassinat, là-bas ?
Adaptant librement le Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock – le réalisateur fait d’ailleurs son traditionnel caméo en traversant le tableau à plusieurs reprises, en compagnie de la silhouette dégingandée de Jacques Tati –, l’auteur livre une vision douce-amère de l’humanité, empreinte de tendresse, comme souvent, de bassesse, parfois, et traversée d’un éclair de cruauté habilement révélé. L’album est divisé en deux actes de dix scènes chacun, présentant une succession d’instantanés de vie rythmés par le travail d’ouvriers ravalant une façade, donnant de la sorte un repère temporel au spectateur. L’originalité du dispositif vient de la répétition voulue par l’artiste, exposant d’abord les scènes diurnes dans la première partie, dédoublant ensuite chaque vue en dévoilant leur pendant nocturne, créant un jeu subtil de causes et d’effets, renvoyant le lecteur à rebrousse-temps pour comprendre le déroulement des événements. La multiplicité des intrigues croisées se découvre ainsi peu à peu au gré des allers-retours, des détails indétectés surgissant à chaque nouvel examen.
Délaissant son habituel noir et blanc, le dessinateur se fait ici peintre, montrant un savoir-faire entraperçu sur les magnifiques couvertures de la série Ibicus. Bien que constitué d’un unique plan fixe, le décor se pare de tonalités variées en fonction des heures et du ciel changeant, imprimant une atmosphère différente à chacune des vues. Pour renforcer l’aspect scénographique de l’œuvre, l’édition adopte le format d’un leporello, ces livres-frises qui se déplient en accordéon, permettant de juxtaposer les saynètes.
Poème visuel à la croisée des arts, objet ludique transformant son public en détective, voici un ouvrage inclassable qui ne peut que réjouir l’œil et l’esprit des bédéphiles curieux.
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