C
hristian travaille pour une grosse entreprise de bâtiment et travaux publics (BTP), il vient de se voir confier la responsabilité de la construction d'un mémorial de la Résistance. Cet important chantier situé dans sa région natale représente la clef pour le reste de sa carrière. Raymond Langlade, ancien résistant et haut fonctionnaire retraité, est, à la fois, la caution morale et l'homme derrière ce projet. Si le courant semble bien passer entre les deux hommes, le stress et les secrets du passé vont venir ébranler les certitudes de chacun.
Double portrait foncièrement enraciné dans l'Histoire passée et présente de l'Hexagone, Douce France recèle une impressionnante richesse narrative. Le BTP et ses accointances avec le pouvoir, les rivalités entre jeunes loups ambitieux de la capitale et leurs conséquences dramatiques pour les cols bleus, les petits arrangements des « héros » de la guerre, le fossé entre les classes sociales, l'émigration, etc., Simon Rochepeau paraît avoir complètement vidé sa besace pour son premier scénario ! La fresque est impressionnante, scrupuleuse même, mais manque, par moment, de détails. À force de vouloir tout montrer, le scénariste est obligé de résumer drastiquement une partie de son propos, laissant ainsi plusieurs points en suspens. Au lecteur de combler les vides. Malgré ce bémol, le récit tient la route, particulièrement grâce aux nombreux ancrages dans la réalité : la vie de Langlade reprend la trajectoire de Maurice Papon, tandis que le géant Karbell est la copie carbone du groupe Bouygues. En fin de compte, Rochepeau démontre avec brio que, ici comme ailleurs, la vie n'est ni noire ni blanche, mais grise et affaire de compromis.
Pour illustrer ce long album, Lionel Chouin a opté pour une approche assez radicale, surtout en ce qui concerne la colorisation. Le style, qui au départ rappelle celui de François Avril ou Dupuy et Berbérian, est profondément travaillé. Le résultat est dense, parfois un peu flottant, mais très efficace quand il s'agit de suggérer quelques éléments troubles ou honteux. La mise en couleurs, à la limite du conceptuel, est à l'image du savant travail d'Emmanuel Guibert dans Demi-tour. Elle renforce encore plus le côté fluctuant de l’honnêteté des acteurs. Les tons rouges et bleus dominent et se mélangent en un beige neutre faussement innocent. Cet habile stratagème chromatique permet de mettre en avant ou d'estomper un protagoniste quand son existence vacille au gré des événements. Le procédé fonctionne la plupart du temps, même s'il se révèle passablement fatigant sur la longueur. Le dessinateur en fait peut-être un peu trop et étouffe sa création à force de multiplier les effets stylistiques.
Si certaines œuvres souffrent d'un manque de densité, Douce France pèche dans le sens inverse. L'ouvrage reste néanmoins des plus intéressants, spécialement pour les amateurs d'Histoire contemporaine. À découvrir.
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