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ékin, printemps 1989. Pour beaucoup, c’est cette image surréaliste d’un frêle étudiant faisant de son corps un dérisoire rempart face aux blindés – rempart bien vite submergé par la vague répressive qui s’abat alors sur la capitale. Pour le jeune Dario, Tian’anmen, c’est avant tout le visage angoissé de Fu-Chi, son amie réfugiée politique, dont il est éperdument amoureux. Devenu Journaliste, marié, père de famille, Dario, pour honorer une obscure promesse faite vingt ans plus tôt à cet amour de jeunesse, se rend à Pékin - devenue Beijing à la faveur des olympiades - pour tenter de découvrir ce qu’il reste de ces évènements après deux décennies sous l’étouffoir médiatique d’état.
L’espoir un peu vain de retrouver là-bas Fu-Chi anime-t-il le héros ? Difficile à dire, tant son apathie, sa totale absence d’initiative, font écho à l’atonie généralisée des chancelleries occidentales vis-à-vis du gouvernement chinois. Ne reste donc que les déambulations désœuvrées de Dario sur la place Tian’anmen, sur fond d’instantanés de vies quotidiennes ou de vues touristiques, rythmées par ses souvenirs juvéniles et entrecoupées de témoignages sur la dictature. Témoignages bruts, rapports détaillés, la vérité historique se fait jour peu à peu. Ainsi que le constat amer que ce « printemps » est en train d’en rejoindre bien d’autres dans les oubliettes de l’Histoire. N’en demeure pas moins que les deux faces du récit – l’enquête journalistique, le pèlerinage sentimental – sont traitées plutôt superficiellement et que si la juxtaposition des scènes finit par charmer, c’est la force du sujet et la richesse de la forme qui emportent l’adhésion, bien plus que la densité du scénario.
Concept précieux de l’esprit chinois, au cœur de la pensée taoïste, le vide, ici, ne fait pas que saper l’intérêt du propos, il imprègne – positivement cette fois-ci – le trait de Davide Reviati. Affectionnant les personnages se débattant dans une immensité nue, structurant nombre de cases autour des pleins et des manques, l’auteur remarqué de État de veille démontre une belle maitrise graphique. Son pinceau cisèle l’encre sur le papier à la manière expressive d’un Baudoin, donnant texture et fermeté au dessin, mais ses figures statiques et pensives rappellent parfois aussi le peintre Delvaux.
En ne faisant qu’effleurer la surface des choses, même si la beauté graphique suscite une émotion légitime, Oublier Tian’anmen risque de laisser sur leur faim les lecteurs avides de reportages approfondis.
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