L
e 21 août 2012, s’éteignait Sergio Toppi, l’une des figures majeures de la bande dessinée européenne. Reconnu par ses pairs, encensé par ses lecteurs fidèles, l’artiste jouit cependant d'une notoriété limitée malgré le travail opiniâtre des éditions Mosquito depuis quinze ans pour le mettre en avant. Un manque de reconnaissance du grand public que l’auteur attribuait en partie à son goût pour les intrigues lapidaires et à l’absence de héros récurrent dans son œuvre, hormis le Collectionneur. Ce corpus constitué de dizaines et de dizaines de récits courts est paru pour l’essentiel dans divers magazines italiens. Traitant une grande variété de thèmes, parfois des sujets de commandes, une évidente prédilection pour la fiction historique mâtinée de fantastique s’est peu à peu manifestée… Jusqu’à culminer dans Sharaz-De avec son interprétation grandiose et mémorable des contes des Mille et Une Nuits.
En parallèle de cette contribution majeure à l’éclat du neuvième art, le dessinateur a mené une belle carrière d’illustrateur. Des Scènes de la Bible – exposées cette année en la cathédrale d’Angoulême – aux Belles Garces en passant par les arcanes des Tarots, là-aussi, la diversité des univers abordés est frappante. Ce qui unit véritablement cette œuvre, en définitive, c’est la typicité de son vocabulaire graphique.
Grand maître du noir et blanc, virtuose de la plume, Sergio Toppi a rapidement développé un style immédiatement reconnaissable, même si celui-ci évolua jusqu'à la fin. Le trait est réaliste, acéré, multipliant les ombrages constitués de fins entrelacs hachurés, pour un rendu proche de la gravure. Les contrastes y sont violents, de larges surfaces vides s’opposant à des décors surchargés, luxuriants, où zébrures et mouchetures organisent la distribution de la lumière et restituent les effets de matières. Plus remarquables que le tracé, encore, sont les compositions des planches : l’audace et la liberté y prévalent, au dynamisme de certaines pages répond l’équilibre de telles autres, les plans se superposent, les formes se fondent, s’imbriquent, une folle inventivité aussi réjouissante pour les yeux que pour l’esprit. Et quand il s’essaye à la couleur, qu’elle soit d’aquarelle ou d’encre teintée, là-aussi l’esthétisme emporte l’adhésion.
Dans le présent recueil, illustrations réalisées quelques mois avant sa mort à la demande de son éditeur, le maestro déploie en cette ultime occasion toute l’étendue de son talent. Célébration malicieuse et enjouée du mythe des sorcières, Sabbat se déguste avec volupté, à la fois ode à l’éternel féminin et revisitation espiègle des rites sataniques. La trentaine de dessins présentés en grand format est accompagnée d’autant de croquis sur le vif – crayonnés ou plume – et d’annotations savoureuses écrites par l’auteur. Ces représentations mettant en scène de sensuelles démones fleuretant avec tout un bestiaire fabuleux de créatures infernales, comme souvent chez le transalpin, se détachent sur de noirs monolithes kubrickiens flottant dans l’espace. Réalisées essentiellement à l’encre, noire, violette ou bistre, rehaussées de nuances vives au pinceau, les figures défilent en une joyeuse sarabande méphistophélique.
Ce mélange délicieux de tendresse et de lasciveté est un testament artistique idoine pour savourer le talent de Sergio Toppi, en attendant publication des nombreux récits inédits qui méritent d’être découverts par le lectorat francophone.
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