Les aventures de Tintin tiennent une place à part dans l'histoire du Neuvième Art. Œuvre pionnière naissant dans la Belgique d'avant-guerre, elles ont réussi à s'adapter à la nouvelle donne sociale qui naquit après le conflit et à perdurer jusqu'à nos jours. Grand fan du reporter à la houppe, Jean-Marie Apostolidès se penche sur ce phénomène et propose une série de pistes pour décrypter les clefs du succès du héros de Hergé.
D'où vient Tintin ? De l'imagination de son auteur évidemment, mais pas seulement. Selon Apostolidès, outre Totor, le dessinateur se serait basé – inconsciemment ou pas, la question reste sans réponse – sur un autre Tintin : Tintin-lutin, personnage créé par Benjamin Rabier et Fred Isly au tournant du XXe siècle. Pour l'essayiste, ce proto-Tintin enfantin, même s'il est très éloigné du maître de Milou, représenterait la base sur laquelle le natif d'Etterbeek a façonné sa créature. Cette théorie mêlée de considérations psychanalytiques est tout-à-fait envisageable, même si elle n'apporte pas de conclusion vraiment définitive sur la jeunesse du héros. L'absence d'illustration de ce Tintin-lutin se fait bruyamment remarquer, un ou deux exemples dessinés aurait certainement apportés plus de poids aux propos de l'auteur.
Après cette genèse, Apostolidès partage l'existence de Tintin en trois périodes : les titres d'avant-guerre, les histoires parues dans le Journal de Tintin et, finalement, Tintin post-Hergé. La première époque (en gros jusqu'au Sceptre d'Ottokar), est caractérisée des récits ancrés dans la réalité. Tintin se rend dans la Russie des Soviets ou au Congo belge, des contrées qui faisaient la Une des journaux au même moment. De plus, le ton – très encadré par l'abbé Wallez – se veut résolument éducateur et tenant de la morale catholique de la rédaction du XXe Siècle, cette situation renforce l'enracinement dans le réel. Résultat, ces albums sont datés et, particulièrement dans le cas de Tintin au Congo, guère compréhensibles sans connaître le contexte historique lors de leur création.
La seconde époque est marquée par des aventures nettement plus romanesques et, donc, une certaine intemporalité. Hergé enrichit également son petit monde de nombreux protagonistes secondaires (Séraphin Lampion, Nestor, etc.) le rendant ainsi quasi-autonome, Les Bijoux de la Castafiore représente à ce propos l'exemple parfait du processus.
Pendant toutes ces années, les nouveautés se multipliant, Tintin acquiert une renommée mondiale toujours grandissante. La décès de l'artiste et la gestion discutable des ayants droit - Apostolidès sonne à ce sujet une charge sans retenue contre Moulinsart SA – plonge le Capitaine Haddock et compagnie dans une situation un peu moins reluisante. En effet, Tintin disparaît quelque peu du paysage et le réservoir de nouveaux lecteurs se réduit. Le film de Steven Spielberg arrive donc à point nommer pour relancer la machine. Malheureusement, ce dernier semble recevoir un accueil en-dessous des attentes. Trop virevoltante et écrasant graphiquement (le résultat est à l'opposé de la clarté de la Ligne Claire chère à Hergé), la version américaine des péripéties du locataire du 26 rue du Labrador n'a, à ce jour, pas encore totalement rempli son rôle de passeur du mythe.
Écrit par un passionné de la première heure, Lettre à Hergé avance des idées convaincantes sur la nature et la longévité de Tintin.
Poster un avis sur cet album