C
ouple de la haute société de la Belle Époque, Mme von Dunajew et Séverin von Kusiemski ont passé un étrange contrat: « Moi Severin, consens à être l'esclave de Wanda tant qu'elle le voudra ». Il sera Gregor, son domestique, humilié et battu à chacune de ses bévues, alors qu'elle s'affiche avec des amants de plus en plus prestigieux.
Adaptation du roman éponyme théorisant la pratique du masochisme, la Vénus à la Fourrure apparaît à la première impression comme une succession vaine de supplices. Un très beau livre aux sublimes planches à l'encre, mais dont la mécanique tourne à vide sur le schéma action / réaction : Gregor agit, Wanda punit et monte crescendo dans l’extrême, appliquant sans passion un froid catalogue de tortures sexuelles. Une lecture plus attentive révèle la description minutieuse des rapports de force au sein d'un couple qui, lentement, se délite. Usé par la routine répétitive des scènes, il subit le déséquilibre qui se creuse dans une relation à sens unique au point de ne plus profiter qu'à un seul des protagonistes.
Une dominatrice de haute volée (Lady Trinity) écrivait il y a quelques années dans son blog que la doctrine dérivée de Sacher-Masoch n'avait rien d'une révolution féministe. Elle n'était qu'un ultime avatar de l'enfermement de la femme dans un fantasme masculin, où les dames du BDSM sont réduites au rôle de poupées de cuir exécutant docilement les désirs du soumis qui, souvent, les paye. Ce type d'homme est de nos jours qualifié avec mépris par de nombreuses dominas de « faux soumis » ou encore de « souminateurs ».
Dans ce jeu à deux, les rôles en apparence bien définis par le contrat se renversent. La hiératique Wanda s'ennuie dans le rôle où Gregor l'enferme, à donner sans rien recevoir en retour. Plusieurs fois, son masque sculptural se craquelle lorsqu'elle supplie son époux de cesser et de l'aimer, comme avant. La soumission de la Maîtresse est flagrante sur une planche, où Igor rompt le jeu pour la rappeler à son devoir d'épouse, où il pose la question de qui est le maître. Wanda se déchaînera dans une mise en scène humiliante qui n'est que l'aveu de son impuissance.
Très loin de la gynarchie qu'il semble prôner, Séverin / Gregor a fait sienne la maxime de Balzac : « La femme mariée est une esclave qu’il faut savoir mettre sur un trône » et toujours se rappeler que, même coiffée de la plus riche couronne, elle n'est que l'esclave de la comédie de l'homme. Son couple a l'apparence de l'atypique mais se révèle des plus conventionnels, dans l'esprit conforme au modèle du mariage paternaliste.
Superbe et déroutante, cette bande dessinée de 1985 est une bonne introduction à l’œuvre classique et à l'univers sexuel très codifié qu'elle définit, tout en ouvrant une réflexion très actuelle sur les rapports entre les sexes.
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