Le royaume de Borée - La Saga des Pikkendorff 2. Henrick

L e mythe de la frontière ne s’est pas éteint avec Oktavius de Pikkendorff. Depuis qu’il a succédé à son frère dément, le prince August IV nourrit en effet le secret espoir d’explorer la Borée. Il envoie donc une troupe en mission de reconnaissance au-delà du dernier bastion avant l’inconnu. Chargés de baliser une limite intangible, les soldats doivent faire face à des conditions particulièrement difficiles et l’opération semble tourner à l’échec. Jusqu’au soir où un javelot aux motifs primitifs se plante dans la palissade et qu’un officier assure avoir aperçu la silhouette de son propriétaire tapie dans le bois. Cette preuve palpable et le témoignage d’Henrick de Pikkendorff renforcent la conviction du souverain. Mieux, l’éclaireur lui soumet son projet d’aller plus loin, en montant une nouvelle expédition, plus légère, moins bruyante et forcément confidentielle. Les risques seront grands, le retour incertain, mais qu’importe pour qui veut croire à ses rêves.

Dans ce deuxième opus du Royaume de Borée, Jacques Terpant continue de s’approprier l’œuvre originale de Jean Raspail, dont il avait déjà brillamment adapté le roman Sept cavaliers. Aux confins des terres scandinaves et de la Russie, il fait vivre le mythe toujours prégnant des frontières impalpables qui séparent le monde connu, rassurant, des ailleurs encore à découvrir, mystérieux et, par essence, dangereux. L’album est empreint de cette soif des explorateurs, des inventeurs de territoires nouveaux, qui, poussés par l’instinct et l’envie de donner corps à leurs chimères, avancent sur le fil ténu de leur certitude dans ces régions dont ils ne maitrisent rien et qu’ils voudraient faire leur, ne fusse qu’un bref instant. Mais si cette volonté peuplée de songes constitue le moteur de l’aventure, elle cède le pas devant le véritable héros : la forêt elle-même, qui ne s’ouvre que pour se refermer inexorablement, que pour mieux happer en son sein l'imp(r)udent qui la pénètre.

Le ton de l’histoire reflète parfaitement l’atmosphère singulière de cette avancée, pénible et difficile, à la frontière de la réalité et du rêve, là où le temps semble suspendu, où les vivants ne savent plus s’ils le sont ou s’ils ont déjà franchi les portes de la mort. Petit à petit, au gré d’une narration savamment menée et au rythme lent sans être pesant, le récit se déroule, l’épopée se noue, héroïque autant que vaine, fascinante autant que tragique. Le dessin de Jacques Terpant soutient merveilleusement l’intrigue, habillant les mots, conférant une épaisseur certaine aux protagonistes et, enfin, insufflant vie et comme une volonté propre aux contrées traversées. Les visages expressifs, habités par la promesse d’un mirage ou par des sentiments conflictuels répondent aux vastes étendues à la merci des éléments capricieux. Ces décors soignés et rendus grandioses par la riche palette de la mise en couleurs constituent un véritable régal pour l’œil et, tout en dépaysant, enveloppent le lecteur dans une sorte de torpeur délectable dont il se réveille presque à regret la dernière page tournée.

La geste des Pikkendorff a ce goût savoureux des équipées aventureuses qui se muent en légendes. Comment ne pas en redemander encore, pour poursuivre le mirage tellement prometteur et tentant de ces terres glaciales de l’insaisissable Borée ? Rendez-vous est pris avec Tristan qui devrait conclure la série.

>>> Chronique du tome 1