A
vant d'être cette figure populaire, personnifiant aux yeux du public l’artiste illuminé, le génie autoproclamé interprétant sa vie comme un spectacle permanent, Dalí fut un grand peintre, de ceux qui marquent leur époque d’une empreinte originale : uniques dans leur expression, universels dans leur message. De son enfance catalane à sa formation madrilène, de son avènement parisien à ses villégiatures new-yorkaises, le parcours de Salvador Felipe Jacinto Dalí est ici arpenté avec tact et sensibilité par Edmond Baudoin, qui livre sa vision de l’homme à travers l’œuvre et de l’œuvre à travers l’homme. Hommage, biographie, analyse, rétrospective, cet ouvrage est un peu tout cela.
Coédité par le Centre Pompidou à l’occasion de l’exposition consacrée – jusqu’au 25 mars 2013 – à l’artiste, cet essai graphique est essentiellement axé sur la première moitié de son existence, sa morne jeunesse bien que favorisée, sa vocation précoce, sa reconnaissance rapide par l’intelligentsia, son affirmation stylistique, jusqu’à devenir l'incarnation du mouvement surréaliste. Les années d’après-guerre, une fois devenu ce magistral manipulateur des média qui consacrèrent sa nature iconique, sont traitées avec brièveté, seuls les faits les plus saillants étant abordés, jusqu’à son décès en 1989. Edmond Baudoin s’est surtout attaché à débusquer, dans le passé du jeune Dalí, les instants marquants, les points de basculement, les traumatismes, ces expériences qui structurent une vie et modèlent une vision. Il dresse ainsi l’inventaire des obsessions du Catalan, piste l’origine des signes récurrents qui hantent ses créations.
Pour questionner ce destin, il use de divers artifices : des fourmis s’interrogeant sur le tempérament du personnage, un couple d’amoureux sur la plage de Cadaqués dissertant sur la trajectoire du peintre, et pour finir Baudoin lui-même, se mettant en scène dans son atelier, pour évoquer plus intimement la singularité du caractère de Dalí et son propre ressenti face à cette personnalité. Ce choix d’une narration distanciée utilisant le biais d’une conversation, s’il permet une grande liberté de ton, s’il rythme efficacement le déroulé du récit, imprime cependant une certaine froideur, une retenue, qui maintiennent les sentiments du lecteur en retrait : cette biographie donne à voir, à comprendre, mais de là à faire aimer le bonhomme…
En revanche, graphiquement, cette fertilisation du talent de Baudoin par la folie créatrice de Dalí génère des pages de toute beauté. La manière reste celle habituellement pratiquée par l’auteur : encre et pinceau fin, noirs charbonneux, tracé follement libre et arabesques audacieuses. Ici complétée de quelques traits de plumes et de vibrantes aquarelles. Pourtant, la réussite de l’ouvrage tient avant tout à la parfaite assimilation du vocabulaire pictural du génial Espagnol, son adéquation avec le style de Baudoin : plus que de simples citations, c’est un véritable dialogue qui s’instaure entre les œuvres du surréaliste et les narrateurs, l’intégration des figures emblématiques du peintre dans le corps du récit, à la fois comme objets artistiques et comme acteurs de l’intrigue, tout cela est remarquable et jubilatoire. Ainsi, les planches sont peuplées de rhinocéros, girafes, montres molles, béquilles, picadors, Angélus, mantes religieuses… sans oublier Gala, l’éternelle égérie, omniprésente.
Passerelle jetée entre les arts, ce Dalí par Baudoin est l’occasion de découvrir la genèse d’un artiste majeur du siècle dernier, un voyage subtil et pénétrant dans sa riche iconographie, une mise en lumière de l’homme, démystifié.
Salvador Dali est l’un des plus grands peintres du XXème siècle avec Picasso. Je crois n’avoir jamais encore lu une biographie via le support de la bd. Mon intérêt pour ce peintre remonte à mes années universitaires où j’avais rencontré une étudiante en arts graphiques qui m’avait reproduit la girafe en feu sur une toile de plus de deux mètres. Que de commentaires effectués à propos de ce tableau trônant dans mon salon de la part de mes invités ! Dali attire comme il repousse mais il ne laisse jamais indifférent. Un peu comme ma personnalité.
C’est vrai qu’il faut s’accrocher pour supporter les excentricités du peintre. Il a eu quelque fois des intuitions véridiques comme par exemple quand il a deviné la vraie signification de l’Angélus. D’autre fois, il a eu des coups de génie comme avec la montre dégoulinante comme son camembert. Je le considère comme un maître absolu. C’est l’un de mes peintres préférés.
Quant à la bd, je n’aime pas le style graphique de Baudoin. Pour autant, je trouve que cette œuvre sort un peu du lot grâce à une narration ingénieuse qui ne nous noie pas à l’ennui. Bref, il s’en sort plutôt bien pour retranscrire la vie du maître. J’ai même appris des détails que j’ignorais sur ce roi de la controverse. L’audace paie toujours.