D
ans un monde déshumanisé, le soldat Köstler cherche sa place. Il vient d’intégrer l’unité d’élite Skraeling mais son origine laeten, une sous-race, lui revient régulièrement à la figure. De plus, le conditionnement dont il a fait l’objet enfant n’a plus l’hermétisme attendu et les souvenirs qui lui reviennent en mémoire n’ont pas les mêmes tonalités que l’histoire officielle. Enfin, il découvre le mensonge, sa section ne devant jamais livrer de vrais combats. Elle est utilisée par les services de propagande dans des mises en scène d’opérations commandos filmées et projetées au peuple.
La couverture de ce deuxième opus, tout comme celle du premier, et un rapide feuilletage peuvent induire l’intéressé en erreur en le laissant penser à un récit de guerre. Certes, cette horreur est bien présente, cependant, le propos n’est pas là. Cette série traite d’une société en conflit, qui l’utilise comme outil pour asseoir son idéologie. Si l’iconographie rappelle celle du IIIe Reich, c’est l’extrémisme dans son ensemble, quelle que soit sa tendance, qui est mis en avant. La manipulation des foules, les races impures, les menaces de l’étranger justifiant l’état de belligérance permanent, les silences coupables de la population devant la peur de se retrouver dans le camp des perdants du jour au lendemain, font le quotidien du WeltRaum.
Entre sa condition de « métèque », une improbable naturalisation et l’enjeu qu’il représente dans des luttes d’influence entre ses supérieurs, la situation de Köstler est des plus précaires. Pour décrocher la récompense suprême, il doit rendre les Skraelings indispensables et lui-même encore plus. Mais ses doutes naissants, sa lucidité grandissante et sa relation assidue avec une prostituée ne sont pas les meilleurs moyens pour accéder à ce nirvana, fruit de son embrigadement vacillant. Le scénario de Thierry Lamy est puissant, touffu, noir et violent. Il plonge au cœur d'un régime totalitaire dont les actes font froid dans le dos. Malgré toute la bestialité dont il est capable, Köstler devient le symbole des fissures qui entament jour après jour l’armure – faite de frayeur, de cruauté, de désinformation et de répression – de ce géant despotique qui semble pourtant incassable. Son cheminement chaotique vers le temps des choix est habilement construit.
L’impact laissé par la narration est renforcé par le dessin extraordinairement saisissant de Damien Venzi. En dehors du côté parfois trop figé des expressions, le sans-faute n’est pas loin. Tout – décors, personnages, armes, équipements – contribue à mettre en place l’atmosphère oppressante de l’aventure grâce à une maîtrise étonnante des angles et du cadrage et un travail sidérant sur les couleurs.
S’appuyant sur une performance graphique captivante, Skraeling propose une histoire prenante dont l’épaisseur, la froideur et l’intensité pourront en rebuter certains. Les autre ne bouderont pas leur plaisir de lecture.
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