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Chère Patagonie Chère Patagonie

05/10/2012 7341 visiteurs 7.5/10 (2 notes)

S ynonymes de bout du monde, de confins mystérieux, les terres d’Amérique australe ont longtemps hanté l’imaginaire occidental, depuis les géants patagons décrits par les premiers explorateurs jusqu’aux fuégiens « cannibales » exhibés dans les zoos humains de l’exposition universelle de 1878. Mais par-delà ces rares fantasmes autour de peuplades oubliées, la Patagonie demeure largement méconnue. Une méconnaissance d’ailleurs partagée par les Argentins eux-mêmes, trop souvent oublieux de l’histoire funeste qui présida au destin des provinces du grand Sud. C’est en partant à la rencontre de ses ancêtres que l’écrivain Alejandro Aguado lève un coin du voile sur ce passé presque effacé. C’est cette rencontre que Jorge González met ici en images.

Facundo, région du Chubut, un hameau perdu dans l’immensité désertique de la pampa. C’est autour de cette bourgade que s’articulent les différents chapitres de ce recueil, contant la saga familiale sur plus d’une centaine d'années, des massacres perpétrés par les colons de la fin du XIXème siècle contre les tribus Tehuelches et Mapuches, jusqu’au tout récent renouveau culturel de ces Amérindiens. Entre deux, l’écho lointain des conflits dans la vieille Europe, les soubresauts politiques de la jeune république argentine, la tyrannie de la junte militaire. Le quotidien de citoyens ordinaires. En huit récits de longueurs inégales, les auteurs brossent un tableau sensible de ce territoire et de ses habitants, évoquant la colonisation brutale des débuts, le métissage, la modernisation lente, l’exode rural, puis le retour aux racines familiales. Cependant, l’intérêt suscité par ces récits est également inégal. Passionnant quand il décrit les premiers immigrants, bouleversant quand, sous la plume d’Horacio Altuna, il raconte les prisons de la dictature, la curiosité s’étiole parfois quelque peu, certains personnages manquant singulièrement de charisme. Mais l’intensité dramatique revient intacte dans les épisodes contemporains, avec des caractères forts et des instants émouvants.

Ce qui unifie véritablement cette mosaïque de chroniques éclatées à travers le temps, c’est la touche si particulière du dessinateur - remarqué - de Bandonéon. Rarement le terme « évocateur » n’aura été aussi approprié que pour qualifier le style de Jorge González : nul naturalisme dans son trait, chez lui, tout est suggestion. La vérité se fait jour à travers les lavis, le crayonné sous-jacent affleurant à travers les fines couches d’ocres et de bruns aquarellés. Un crayonné d’une folle liberté d’ailleurs, sans encrage, guère plus détaillé qu’un story-board parfois, bien que d’une efficacité redoutable. Et puis les gris. Une incroyable richesse de tons sort de son pinceau, gris pâles translucides, gris olivâtres, gris sombres plombés, gris bronze, bistre, ivoire, une palette morne et vaporeuse d’où émerge pourtant un lyrisme absolu. Les larges compositions quasi abstraites figurant les steppes désolées du Chubut - aux maigres silhouettes se devinant entre brumes tenaces et vastes ciels obscurcis - sont emblématiques du souffle poétique agitant cette œuvre. Le découpage est résolument dynamique, au gré des atmosphères retranscrites : gaufrier de neuf cases pour certaines séquences, ou de vingt cases sur une autre, succédant à des vues étalées en double pages, puis des planches en trois ou quatre strips, et ces images éclatées en myriades de pastilles juxtaposées.

Plus innovante encore, la - longue - dernière partie de l’album, véritable livre dans le livre, soixante-dix pages d’illustrations, esquisses, annotations, croquis sur le vif, recherches graphiques, pastels ou stylo-bille, mine ou aquarelle… une belle occasion pour l’artiste de déployer son talent dans cette sorte de making-of, racontant la genèse du projet et les enquêtes menées sur le terrain par Alejandro Aguado.

Comblant les promesses suscitées par son précédent opus, Jorge González démontre avec Chère Patagonie son statut d’auteur majeur de la bande dessinée contemporaine, par sa puissance graphique, par sa capacité à embrasser l’Histoire avec hardiesse, à manier tension dramatique et pauses contemplatives avec un égal bonheur.

Par O. Boussin
Moyenne des chroniqueurs
7.5

Informations sur l'album

Chère Patagonie
Chère Patagonie

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L'avis des visiteurs

    Eric de 1001 cases.net Le 03/05/2013 à 00:21:05

    "Chère Patagonie" est à la bande-dessinée européenne ce que "Cent ans de solitude" de Gabriel Garcia Marquez est à la littérature hispano-américaine : un roman graphique universel, un petit chef d’œuvre du 9ème Art.

    herve26 Le 17/09/2012 à 21:39:42

    Avouons-le tout de suite, je ne connais pas l’histoire de la Patagonie, l’auteur, Jorge Gonzales est un parfait inconnu pour moi, et enfin, le style proche de Blutch ou encore de De Crécy n’est pas celui que je préfère. Et pourtant ! J’ai lu ce récit d’une traite, sans faire de pause, tournant les pages avec impatience.
    L’impatience n’est pourtant pas le fort de ce pavé de plus de 300 pages où il faut deviner les personnages, savourer les paysages déserts et suivre sur plus d’un siècle l’histoire de ces colons ou de ces Yamanas ou Onas, premiers habitants de cette terre aride. Car le style de Jorge Gonzales est particulier. Mélangeant la mise en page dite du « gaufrier » avec des pleines pages d’une beauté à couper le souffle, son style éclate dans le dernier chapitre qui retrace l’histoire de ce livre : croquis, crayonnés, pleines pages en couleurs, du texte à foison, bref un véritable feu d’artifice qui vient clore cette saga presque familiale.
    Un véritable Ovni que cette bande dessinée qui revisite sans concession l’histoire de l’Argentine (on y croise le génocide des « indigènes », le mouvement anarchiste ou encore le régime dictatorial des années 70) à travers la destinées de deux familles , l’une venant d’Allemagne, l’autre étant le fruit d’un métissage.
    Jorge Gonzales retrace avec immense talent l’histoire d’un peuple, l’histoire d’un pays mais surtout l’histoire méconnue de la Patagonie. On y sent la solitude des habitants, le vent, la pluie, et surtout le poids du silence, bref une atmosphère particulière, celle que veut vivre l’énigmatique Roth, une atmosphère pesante, étouffante, mais aussi où la liberté souffle sur cette terre, cette liberté que vient retrouver l’un des personnages principaux de cette histoire, après moult aventures, Julian Blumer.
    Comme un lointain écho au superbe « Portugal », publié chez le même éditeur l’an passé, je ne peux que vous recommander la lecture de, ce qui reste pour moi, la découverte de cette rentrée 2012 .