P
our Johnny « Choker » Jackson, cette proposition d’être réintégré dans la police de Shotgun City s’il parvient à mettre la main sur un baron de la drogue en fuite sonne comme une possible rédemption. Trois ans qu’il trimballe son désenchantement et son cynisme dans les bas-fonds environnants. Trois ans qu’il survit avec ce miteux boulot de détective privé. Trois ans, quatre mois et treize jours, depuis que son incompatibilité au programme « homme plus » l’a privé de son badge. Sans compter ce foutu syndrome de la main étrangère qui l’accable. Non, vraiment, Johnny ne veut plus de cette vie merdique, alors tout plutôt que de continuer comme ça. Même s’il n’a aucune confiance dans le deal qu’on lui propose. Même s’il doit se coltiner cette dingue de Flynn Walker comme acolyte. Même si un groupe de mamies vient de se faire boulotter en pleine rue par une bande de camés sanguinaires…
En créant Shotgun City, les auteurs avaient sans doute pour ambition de faire passer Sin City ou Gotham pour des sortes de Disneyland peuplés de bobos béats. Pari tenu : Templesmith nous livre une vision désespérante du lieu, tout y est glauque, poisseux, cafardeux. La violence et la corruption sont omniprésentes, les expériences génétiques hasardeuses ont créé moult mutations incontrôlées, des drogues dévastatrices achèvent de gangréner la ville. À l’horreur du décor répond celle des protagonistes : âpreté, fureur, cruauté, machiavélisme, sauvagerie, autant de traits dont semblent être généreusement pourvus les habitants du coin. Avec de tels ingrédients de départ, Ben McCool n’avait plus qu’à dérouler son intrigue - centrée ici sur les tripatouillages de substances mutagènes visant à créer les superflics du projet homme plus - en suivant les codes du genre. Cette série B saignante et déjantée se révèle donc plutôt séduisante, par la force acerbe de ses dialogues percutants, la désespérance magnifique de son héros, la noirceur insondable du cadre et, plus sombre encore, cet humour tragique qui imprègne l’ensemble.
Les aficionados du dessinateur australien resteront en terrain connu : ce trait fin, violemment expressif et caricatural, cet encrage souligné de sillons lumineux, tels des néons éclairant la scène, ces décors minimalistes sur fond de tramage coloré, texturé, de halos phosphorescents, tout ce qui fait la patte si particulière et immédiatement reconnaissable de Ben Templesmith est une nouvelle fois brillamment exploité.
Sans atteindre toutefois la sublime mélancolie que Fell savait susciter chez le lecteur, Choker devrait emporter l’adhésion des amateurs de thrillers foutraques, que ce soit pour son nihilisme forcené, la saveur amère de ses personnages ou ses explosions de violence paroxysmique.
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