L
e livre s’ouvre sur une séquence très figurée - ce sera pour ainsi dire la seule, la réalité venant résolument s’emparer de la suite. En quelques cases, la petite Goglu, tout en livrant une lutte inégale contre une sorte de plante reptilienne qui distille en sa chair un venin chargé en bile noire, devient une adulte. Le texte qui accompagne cette scène, mêlé d'inquiétude, interroge sur ce qui est inné et ce qui est acquis. En filigrane, c’est l’angoisse de reproduire des schémas destructeurs d'une génération à l'autre qui prend corps dans l’esprit de la petite fille devenant femme.
Cette plante hideuse, elle la nomme Amère, comme une adresse à (sa) mère, mais aussi en référence au sens premier de ce mot qui évoque sans ambiguïté le ratage ; celui d’une vie. Cette mère a-t-elle seulement souhaité sa venue au monde ? Rien n’est moins certain. Trop jeune quand ça lui est tombé dessus, guère soutenue par celui qui partageait alors son existence, elle allait porter le fardeau de cette naissance pour le reste de sa vie. Ça ne s’est pas imposé du jour au lendemain, ça ne s’est d’ailleurs peut-être jamais imposé avec une telle évidence à ses yeux, mais c’est ce que, comme mère, elle donne à ressentir. Viennent l’alcool en fin de semaine, un petit joint de temps en temps et une relation tumultueuse avec son nouveau compagnon. Alors, quand l’ivresse est là, quand le discernement ne l’est plus ou, encore, quand le couple se déchire, c’est à sa fille, alors elle-même en train de se construire, que revient la charge de ramasser les morceaux et les confidences sur la culpabilité de sa génitrice. La boucle est bouclée, le mal s’installe.
Douloureuse, lente et étouffée, telle est la prise de conscience de celle qui raconte ; l’auteure. Pour rendre l’immaturité de sa génitrice, voire pour retranscrire sa perception des choses d’alors, Geneviève Castrée ne fait pas évoluer le physique de celle qu’elle appelle Amère, à tel point qu'il devient vite difficile de définir qui, des deux femmes, est l’enfant. De même, toujours afin de placer le lecteur dans une situation similaire à celle qui fut la sienne, elle ne livre pas tous les éléments nécessaires pour se faire une idée précise des enjeux. Ainsi, des bribes de phrases descendent dans le sous-sol alors qu’elle cherche à s’évader face au petit écran. Ainsi, les bulles de dialogues, voire de monologues, sont balancées par saccades, formant sens dans leur globalité, selon l’interprétation que chacun voudra bien leur donner.
Très agréable à lire, dense en ce qu’elle contient, cette bande dessinée est la première de la toute nouvelle maison d’édition de Jean Christophe Menu, L’Apocalypse. L’ouvrage est de belle facture, les différentes teintes de rose qui ornent la couverture et les pages de garde, ainsi que la texture désuète de ces dernières, semblent faire écho à un fantasme passé, aux couleurs absentes de ce livre, absentes de ces vies. Le rose des petites filles, le rose des grandes filles ?
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