E
n cette terrible année 1917, le calme est encore de mise sur les bords du lac de Côme, épargnés par la guerre, mais désertés par les voyageurs. C'est pourtant l’effervescence à la Villa d’Este où le personnel s’active sous la férule de la Directrice pour recevoir un hôte de marque, le Mahârâja Raghubir Singh Bahadur, souverain richissime et débauché d’une principauté indienne. Au même moment, les services secrets britanniques s’inquiètent du motif véritable de la visite : rencontrer des émissaires allemands en vue d’obtenir des armes pour déclarer l’indépendance de son État et faire sécession de l’empire. Un agent est dépêché sur place pour faire capoter l’entrevue, par tous les moyens.
Bientôt, le prince débarque avec sa suite, femme, concubines, serviteurs, éléphant... Un véritable palais indien est ainsi recréé dans les Alpes. En corollaire indispensable des arcanes de l’Asie, le Kâma-Sûtra échauffe les esprits des occupants de la villa, fascinés par l’aura de mystère et de sensualité entourant cet ouvrage mystique. Il faut dire que le Mahârâja est bel homme, ses compagnes nombreuses et avenantes, et qu’une atmosphère de lascive turpitude plane bien vite sur le lieu. De libertinages polissons en bacchanales voluptueuses, tous succombent aux appels du stupre et batifolent allègrement dans la plus joyeuse immoralité. Valet de chambre égrillard, soubrette ingénue, maitresse perverse, voyeur apoplectique, tous les rôles obligés du genre sont dignement représentés.
Le casting convoqué par Labrémure, alias Frédéric Brrémaud, réalise un sans-faute : sans paraitre en rien caricaturaux, tous les protagonistes ont la tête de l’emploi et sont criants de vérité, attente hélas illusoire quand il s’agit de pornographie filmée, mais qui ici sonne parfaitement juste. Le dessin fonctionne remarquablement bien avec l’intrigue, malgré de petites imperfections, perspectives un peu hasardeuses ou anatomies ponctuées de maniérisme. S’attardant souvent sur la magnificence des décors, la profusion des étoffes, l’encrage fin et précis est bien servi par la colorisation, en aplats subtils, de teintes fanées et délicates renvoyant le lecteur aux illustrations de la Belle Époque. Tout comme le tracé, évoquant tour à tour les affiches de Steinlen, les tableaux d’Egon Schiele, sans parler de telle gargotière ressemblant furieusement à La Goulue de Toulouse-Lautrec. Bel héritage, porté avec ferveur par Artoupan, qui réussit la gageure de concilier esthétisme et lubricité.
Une vraie bonne surprise que cet album, les auteurs poussant la conscience professionnelle jusqu’à proposer une histoire qui est plus qu’un prétexte à la gaudriole, avec des personnages bien campés, un arrière-plan historique dramatique, un dénouement inattendu et de nombreuses touches d’humour mutin malicieusement disséminées. Lecteur incrédule, la pornographie élégante et raffinée existe, elle villégiature désormais sur les rives d’un lac d’Italie.
Très belle surprise que ce titre érotique.
Outre une couverture très suggestive, il faut l'avouer que , pour une bande dessinée dite "pour adultes", elle sort vraiment du lot.
Pour une fois il y a un scénario solide pour cette aventure, bien que la fin soit effectivement assez expéditive, mais urtout le dessin d'Artoupan est superbe. Loin du style réaliste qui innonde le genre érotique dans le monde de la bd, Artoupa, signe là un dessin très personnel, entre caricature et réalisme , et où chaque personnage me fait songer à des protagonistes de pièces de théâtre de boulevard:
de la prude soubrette, à la directrice de palace faussement effarouchée, en passant par l'espionne allemande fort bien charpentée et, mention spéciale à la tenancière de l'hôtel "Gato Néro" qui ne manque pas d'atouts, toutes sont forts bien dessinées. En outre, pas un bouton ne manque (enfin,si!) aux bustiers et autres chemisiers, bref Artoupa, qui signe également les couleurs, soigne particulièrement les tenues vestimentaires de l'époque.
Les hommes ne sont pas en reste dans cette histoire d'espionnage, où agents de l'Axe et agent de sa majesté rivalisent d'ingéniosité pour arriver à leurs fins.
Un album réussi, un peu trop vite lu à mon goût mais surtout drôle et qui ravira les amateurs du genre.