P
ar sa brutalité et son inutilité, l'exécution des Romanov est restée gravée dans l'inconscient collectif. Cet événement, mêlant politique, révolution, romantisme et même fantastique avec l'ombre de Raspoutine, n'a pas manqué d'inspirer les créateurs de tous poils. Alimentés par les plus folles rumeurs de supposés survivants, films, reportages, romans et maintenant BD, se comptent par dizaines. Patrice Ordas et Patrick Cothias (Ambulance 13) apportent leur pierre à l'édifice avec Nous, Anastasia R.
Premier volume de la série, Villa Ipatiev, se déroule sur les quelques jours entourant le 17 juillet 1918, date du massacre de la famille impériale russe. Les scénaristes présentent les faits avec moult détails et une volonté sans faille de coller au plus près à la vérité historique. Les Romanov, maintenus au secret par les gardes rouges de Lénine, vivent, sans le savoir, mais sans être dupes, leurs dernières heures, tout en essayant de ne pas perdre la face. Nicolas II entretient un dernier espoir en organisant un plan d'évasion pour permettre à sa fille et héritière désignée, Anastasia, de s'évader le cas-échéant. Malheureusement, en se résumant finalement qu'à une longue introduction, l'histoire perd un peu en consistance au fil des pages. En dehors de ce bémol, le portrait psychologique très détaillé de ces condamnés en sursis est admirable de précision.
Le trait léger et tout en douceur de Nathalie Berr (Borderline, La maison de Dieu) s'adapte étonnement bien aux rigueurs de cette chronique. La dessinatrice dépeint toute la tension et la violence de la situation avec beaucoup de talent. De plus, la mise en page très variée arrive même à faire oublier que ce récit est quasiment un huis clos ! Les excellentes couleurs de Sébastien Bouet complètent parfaitement cet opus très esthétique malgré la froideur des propos.
Villa Ipatiev, tome un peu trop attentiste sur la forme, est néanmoins des plus agréables à lire.
La découverte des derniers ossements en 2007 de la famille impériale de Russie aurait dû mettre fin à toutes les spéculations. Mais non, rien n’y fait puisque voilà une nouvelle adaptation en bande dessinée après des dizaines de romans et de films. J’avais beaucoup aimé le dessin animé de Don Bluth sorti en 1997 mais qui restait très léger sur les conditions qui avaient permis sa survie. En l’occurrence, rien ne nous sera épargné dans la bd sur ce qui s’est passé dans la villa Ipatiev dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918 à savoir le massacre de la famille du Tsar par les bolcheviques aux ordres de Lénine. La mise au jour des restes a prouvé la sauvagerie avec laquelle les bolchéviques ont massacré la famille impériale : nez et mâchoires brisés, traces de baïonnettes profondément enfoncées dans les os, etc…
Bref, le doute n’est plus permis. Anastasia a bel et bien été assassinée. La plupart des imposteurs qui se sont manifestés en prétendant être les Romanov étaient motivés par l’argent (mettre la main sur la fabuleuse fortune de la famille) mais aussi par un besoin pathologique de reconnaissance. De même le Tsarévitch, hémophile, ne pouvait avoir survécu à ses blessures, pas plus que ses sœurs dont tous les témoins affirment qu’elles saignaient de manière anormalement abondante en cas de blessure, et ce depuis leur enfance. Elles portaient sans doute le gène de l’hémophilie transmis par leur mère (mais sans souffrir de la maladie).
Pour en revenir à la bd, nous retrouvons le couple Patrick Cothias – Patrice Ordas qui après avoir signé « La Rafale » pour traiter de la guerre d’Indochine chez l’Editeur Bamboo dans la collection grand angle décident de s’attaquer au mythe de la survivance des Romanov. On reprend le même éditeur et on recommence. Je dois bien avouer avoir préféré cette série à la précédente dont le premier tome est paru 3 mois plus tôt. On dirait une offensive sur les séries de type historique.
J’ai bien aimé la précision du récit historique malgré une faute particulièrement grossière. Ainsi, Nicolas II avait renoncé au trône au profit de son frère et ne comptait pas du tout mettre Anastasia sur celui-ci. Et pourtant, cela nous est présenté ainsi dès la première page. Il y a manifestement détournement de la réalité historique pour faire dans la romance. Et pourtant la suite sera parfaitement crédible et correspondra à ce que les témoins d’époque ont révélé à travers les centaines d’articles de presse. En conclusion, il ne faudra pas tout prendre pour argent comptant.
Le dessin reste toujours aussi vieillot. A croire que c’est une marque caractéristique du choix de ces auteurs pour un dessinateur qui entre dans leur univers. Le dessin reste correct mais la colorisation fait sans doute trop dans les tons pastel. Bref, un graphisme léger à mon goût. Il y a également une erreur dans une bulle qui a été mise sous la forme de bulle de dialogue alors qu’il s’agissait d’une bulle narrative. C’est le genre de chose un peu énervante qui fait dire qu’il n’y a pas de relecture de l’œuvre avant impression. De l’amateurisme qui ne devrait pas exister à ce niveau.
Néanmoins, j’ai été assez intrigué par le sujet et je pardonnerais toutes les erreurs et autres invraisemblances. Cela donne tout de même envie de lire la suite.