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lantées à la lisière des champs, des rangées maisons identiques, sans charme, accolées les unes aux autres. Dans l’une d’elle, trois femmes, ou plutôt une mère et ses deux filles. Perdue dans son ennui, la petite dernière voit passer à sa fenêtre un ballon porté par le vent, un de ceux auxquels sont accrochés des messages. L’aventure guette, elle court après, l’attrape… « Celui qui lit ça est un con ». Ite missa est, retour à la case départ, à l’ennui, à l’errance de l’esprit.
Derrière les murs de cet home sweet home, une femme est confrontée à sa pitoyable existence et se débat avec les fantômes d’une autre époque qu’elle n’arrive plus à exorciser, une adolescente prend conscience de sa banalité et s’accroche aveuglément à tout ce qu’elle conçoit comme potentielle échappatoire. Dans cet univers propice à l’épanouissement, la fillette s’invente un ami imaginaire avec lequel elle fait joujou, mais qui se révèle un rien déconcertant et ne lui apporte pas nécessairement ce qu’elle attend. Sait-elle seulement ce qu’elle attend ?
Entièrement dessiné au crayon de bois, à la manière de Frances Joanna Hellgren, mais moins porté vers une quelconque recherche esthétique, Petite terrienne sonde les tréfonds du mal-être et cette faculté à chercher son salut en dehors de la réalité, dans un passé remodelé, dans un futur fantasmé ou, encore, dans un présent fabulé. Que ce soit à la maison ou ailleurs, les trois femmes se heurtent aux quatre murs de leur solitude, fort bien matérialisés par la rectitude quasi immuable des gaufriers, à la fois discrets et omniprésents, qui régissent majeure partie des planches. Dire que l’atmosphère est grise est un euphémisme, cela d’autant plus qu’aucune d’entre elles n’est tout simplement capable d’entendre la détresse des autres, chacune étant bien trop préoccupée par son propre malheur qu'évoquent de longues séquences silencieuses. Au mieux, les échanges provoquent des étincelles.
Aisha Franz, auteure allemande dont c’est ici le premier album publié en France, parvient à restituer avec précision les affres du repli sur soi, cette propension que peut avoir L'Être déprimé à s’isoler dans son malheur et sa vérité. Elle appuie avec la précision du chirurgien là où ça fait mal pour en saisir tout le suc. C’est peut-être pour cette raison, parce que cette bande dessinée est très dure dans ce qu’elle peut remuer chez le lecteur, que la fin se veut apaisante, comme un retour dans la normalité. Celle-là même qui, pour tout dire, n'avait jamais été vraiment quittée autrement que dans la tête des protagonistes de cette tranche de vie.
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