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orsqu'un homme fête ses 90 ans, qu'il est tétraplégique, coincé dans son corps, dans ses souvenirs et qu'il voit sa progéniture se crêper le chignon à cause de l'héritage tant attendu, mieux vaut fermer les yeux, faire croire qu'il ne comprend plus rien et attendre la fin.
Greta semble la plus aimante de ses trois filles. Elle l'a recueilli chez elle et s'occupe de lui comme elle peut. Pour célébrer l'anniversaire de son père, Greta a réuni ses frères et sœurs qui, pour certains, ne l'avaient pas revu depuis dix ans. Al est parti à l'Ouest pour faire fortune dans le pétrole, abandonnant son fils, Sammy, complètement dépressif depuis la mort de sa mère. Léo est avocat, il gère les affaires restantes de son géniteur, ses sous mais aussi son testament. Molly, femme rigide que rien ne semble satisfaire ni émouvoir, critique ses frères et sœurs en permanence à cause de la spéculation qu'ils entretiennent autour de l'argent du père. Quant à Selena, elle patauge dans une vie minable et paraît la plus détachée vis-à-vis du futur héritage. Tous ne viennent à l'anniversaire que dans la perspective du gain post-mortem et s'étranglent presque lorsque Greta leur annonce qu'elle ne peut plus garder le paternel à la maison. Il faut lui choisir une pension : soit onéreuse et confortable, entrainant la dilapidation de sa fortune, soit économique et le capital n'en pâtit pas trop. Mais s'il vit encore cinq ans, sept, ou dix ? Combien restera-t-il après sa mort ?
Avec Will Eisner, il fallait s'y attendre, Une affaire de famille est forcément un terreau fertile pour l'ironie et la satire. Bien sûr, l'auteur du Spirit tombe parfois dans la facilité d'un scénario peu original : un père riche, qui a fait fortune en ne partant de rien, qui a eu cinq enfants sans vraiment les élever lesquels, devenus adultes, ont tous une bonne raison de le détester (trahison, inceste, dénigrement …). Les traits sont parfois grossiers, mais à bon escient. Le propos du maître n'est pas de construire une histoire divertissante et novatrice, mais de dresser le portrait de gens veules, intéressés, cupides et souvent sans cœur. Eisner tisse alors un récit tombant dans le sordide à travers les mots et les actes de ses personnages. Aucun n'est attachant. Ce qui lie principalement le lecteur au récit est la façon dont l'auteur façonne sa narration. L'inventeur du Roman Graphique utilise tout son art de la narration et de la mise en page pour la rendre vivante et percutante. Les scènes où l'un des enfants parle à son père en aparté, le croyant sénile, sont agrémentées de bulles matérialisant les pensées toujours perspicaces du vieux. La confrontation entre le présent vide et les souvenirs à foison, parfois douloureux, parfois cruels, permet de mieux comprendre l'état d'esprit des personnages et étoffe leur psychologie. Eisner n'a pas son pareil pour utiliser au mieux tout le langage de la bande dessinée.
Moins emblématique qu'Un pacte avec Dieu, Une affaire de famille s'inscrit parfaitement dans le travail du maître, par sa mise en scène et le thème de la famille qui revient souvent dans ses œuvres. À ne pas prendre comme première approche du travail de Will Eisner, mais plutôt comme une pierre à l'édifice de la collection. À noter que les éditions Delcourt ont revu la « coloration » par rapport à la version des Editions USA, ce qui en fait un album plus agréable à lire, quoique plus sombre.
J’adore !
J’adore le dessin, j’adore le concept, la noirceur cynique non dénuée d’humour…
Des traits vifs, qui croquent avec brio les personnages, les habillant de postures et caractéristiques parfaitement en rapport avec leur caractère !
L’histoire est très réaliste dans les rapports humains et les petites scènes font que les pages se tournent vite…
Je m’attendais à du banal mais finalement, ça tourne juste jusqu’à une fin qui est bien satisfaisante et clos l’histoire, avec de jolies bulles de souvenirs pour le père.
Cool.
Will Eisner est grand, immense même : l'un artistes américains les plus importants pour avoir contribué sans doute plus que nul autre à la transformation des comics en un Art adulte. Mais cela ne veut pas dire que tous ses livres soient des chefs d'oeuvre... même si je n'en ai personnellement trouvé aucun de vraiment mauvais. "Affaires de Famille" est donc juste "bon", ce qui n'est pas si mal : sur un thème très convenu - les vilains secrets d'une famille et les lâches manoeuvres des uns et des autres au moment de se positionner pour hériter du père presque mourant, Eisner se révèle cette fois un tantinet fainéant, abandonnant pour un temps son extraordinaire travail sur l'espace urbain et intime, se contentant de situer ses personnages dans des taches de couleur. Et ne cherchant pas à élever son récit vers les sommets de la tragédie ou au contraire du ridicule, se contentant donc d'une chronique assez mesurée de l'horreur familiale. C'est un choix respectable, correspondant sans doute à un désir de réalisme qu'il veut implacable, mais on sort de cet "Affaires de Famille" un peu déçu, en dépit d'une fin assez maligne. Bref, chez un autre artiste qu'Eisner, on encenserait peut être la cruauté banale de cette BD : ici, pour le coup, on sait le maître capable de bouleversements émotionnels autrement plus intenses. Et plus originaux.
Quand on lit les nouvelles de Will Eisner, on pourrait penser à un Victor Hugo ou à un Alexandre Dumas, assis dans les rues de Paris et y peignant ce qui lui défile devant les yeux, prenant des notes et croquant les scènes.
Cette «affaire de famille», c'est un peu "Les Misérables" des temps modernes.
Une éducation parentale et une société qui ont laissé leurs traces: chacun ne vit que pour ses intérêts et tous trimbalent de bien lourds secrets.
L’histoire avance lentement, fournissant au fil des pages un tas d’information sur le passé de chacun des membres de la famille et faisant découvrir au lecteur les revers qu’ils ont subis au fil des années.
Les 3 dernières pages vous couperont le souffle.
À lire absolument, vraiment absolument!!!
Le vieux Ben est paralysé et il est riche. Mais c'est son 90ème anniversaire et toute la famille sera là...
Une de ces terribles fresques humaines dont Will Eisner a le secret! Mais comment fait-il pour peindre les bassesses humaines ordinaires tout en laissant transparaître une indulgence ou même une tendresse pour ces gens?
On est loin des univers manichéens qui rassurent et amusent...
Et comment il casse les codes graphiques pour servir au mieux son propos! Quel talent!