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lors que la bande dessinée de reportage est en pleine expansion aux quatre coins du monde et dans de multiples thématiques, aucun ouvrage du 9ème art ne s’était pour l’heure réellement penché sur les émeutes qui avaient secoué l’Hexagone en 2005. En allant plus loin, le constat est le suivant : rares sont ceux qui se sont confrontés aux problématiques contemporaines des banlieues dites sensibles. Si par le passé, dans les années 80, le sieur Berroyer s’en est servi comme environnement pour l’outrageux Raoul Teigneux contre les Druzes avec Vuillemin et pour la chronique adolescente Goudard avec Gibrat (pour les deux premiers tomes tout du moins), c’est à la fin du XXème siècle, en 1998, avec Bonne année, vraisemblablement l’album le plus moderne de Baru en ce qu’il contient, que la banlieue est, sans doute pour la première fois, sciemment désignée comme étant l’élément - faute de pouvoir écrire « le personnage » - principal.
Depuis, le sujet semble comme évité ; par peur de se fourvoyer dans un domaine complexe ? C’est peut-être pour ça que seuls quelques auteurs qui en sont justement issus s’attellent à combler ce vide, avec comme règle tacite et intangible la volonté de ne pas dénaturer la réalité. Il y a notamment eu, récemment, Alexis de Raphelis (Le bloc) et, surtout, Gilles Rochier, dont l’œuvre est concentrée autour de cet univers et dont le dernier album TMLP a été primé lors du festival d’Angoulême 2012 (Prix Révélation). Chez ces deux-là, il ne s’agit plus d’un simple contexte, mais de la thématique centrale de leur travail. C’est dans cette veine là que s’inscrit Obsidion chronique d’un embrasement volontaire, et c'est bien là que se situe l’importance de ce témoignage.
Son auteur, Remedium, habite en Seine-Saint-Denis et y exerce sa profession : professeur des écoles. C’est donc de l’intérieur, non pas parachuté pour l’occasion, mais avec une bonne connaissance du terrain, qu’il a vécu les événements qui, en 2005, ont suivi le décès de Bouna et Zyed. Le souci de relater les faits, rien que les faits, le pousse à démarrer son récit quand les conséquences des émeutes arrivent en bas de chez lui, c’est-à-dire quelques jours après le commencement. C’est plutôt intelligent et, en tous les cas, honnête. Surtout, ce choix confère une forte crédibilité à son propos quand il relate ce qu’il voit, ce qu’il entend et ce qu’il ressent ; il n'est pas en décalage. Ainsi, il évoque l’aspect fascinant et surréaliste des incendies, fascination qui laisse rapidement place à l’incompréhension et aux questions. Il aborde la rumeur et la peur propagées tant par les média que par les discussions qui se font et se défont au fur et à mesure des incendies et des nuits qui s’enchaînent. Bien évidemment, il raconte le dérangement, pour ne pas dire le traumatisme, que constituent pour ses élèves le bruit des voitures en feu et des sirènes, l’angoisse de leurs parents et le spectacle des dégradations au petit matin. Chaque planche est construite afin d’être la plus parlante possible : les éléments graphiques sont variés, Remedium utilise des symboles (tels la bombe et sa mèche pour revenir sur ce qui a déclenché cette folie), et judicieusement agencés afin d’accompagner au plus près ce qui se passe. Ainsi, celle consacrée à son trajet vers son lieu de travail est articulée autour du schéma d’une ligne de bus, chaque arrêt donnant à voir sa carcasse de véhicule calciné. Ainsi, celle où il est confronté au regard empli d'incompréhension de ses élèves. Cette première partie est globalement réussie, et juste dans ce qui est dit et montré.
Ce n’est pas le cas de la seconde, plus discutable, tant dans la forme que dans le propos. Écrasant le dessin, le texte s’engage alors dans des considérations souvent malheureuses et mal amenées. Tant que c'est dans le cadre du suivi au jour le jour des évènements, même si leur pertinence est variable, elles conservent la spontanéité propre aux circonstances du moment et s’intègrent donc sans mal dans le témoignage. Par contre, quand ça vire au vomi (c’est graphiquement exprimé comme cela) d'un flot de réflexions un peu sans queue ni tête, pour certaines vraisemblablement mal exprimées, mal maitrisées, quand d’autres frôlent la caricature, ça marque un manque de recul certain. C’est d’autant plus dommage qu’en agissant comme cela, d’une part, il noie ce qui avait un intérêt à être exprimé et, d’autre part, il emprunte à ceux qu’il pointe du doigt (raccourcis faciles, exagération, …). Cet épilogue, c’est ainsi que l’a nommé Remedium, est donc peut-être de trop, qu'il ait souhaité donner une dimension engagée à son livre est tout à fait louable, qu'il ait eu envie de porter, de relayer une légitime colère tout autant, mais la manière n'est pas la bonne. Les deux dernières planches qui reviennent à la méthode utilisée dans un premier temps sont, elles, d’une redoutable efficacité. N’auraient-elles pas suffi à conclure l’album et à sonner le lecteur ? L’autre regret porte sur la frustration qui peut être ressentie sachant le métier de l’auteur : n’était-ce pas autour de l'école, ô combien essentielle dans ces quartiers, que l’homme de terrain qu'il est aurait dû étendre son discours ?
Obsidion chronique d’un embrasement volontaire est un ouvrage inégal, qui comporte son lot de maladresses. Pour autant, dans ce qu’il aborde, il s’agit d’un témoignage rare sur un sujet qu'il serait coupable d'éluder, cela d’autant plus que la situation ne s’est pas nécessairement améliorée depuis.
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