U
n monsieur en costume échoue dans un troquet et commande du champagne. Là, il se confie à Jacquot, la petite qui fait le service, et annonce qu’il va prendre une chambre. Nul besoin de préciser qu’il détonne dans l'harmonie des habitués, pourtant, jour après jour, bouteille de champagne après bouteille de champagne, il perd de sa superbe et se mue en un pauvre hère au regard hagard. Ce qu’il semblait attendre avec appréhension arrive, trois individus patibulaires viennent lui remettre une carte lourde de sens dans le Milieu. Témoin de la scène, Jacquot a juste le temps de prendre la poudre d’escampette avec ses amis du troquet, un précieux papier appartenant au pauvre homme en poche. Dessus, pas de carte au trésor, mais rien moins que de nécessaires informations permettant de mettre la main sur un joli magot sous forme de mallettes remplies de billets - autres temps, autres mœurs - cachées dans l’îlot en chantier jouxtant le petit hôtel. Si l’aventure commence, la partie est loin d’être gagnée, le territoire à explorer est surveillé par de féroces vigiles et entouré de hautes palissades. Il est nécessaire de trouver des renforts, or la précipitation n’étant que rarement bonne conseillère, le choix de l’équipage révélera vite ses failles.
Sylvain Venayre est historien. Féru de bande dessinée, il est, en 2005, commissaire de l’exposition « Le remords de l’homme blanc » au Palais des Beaux-Arts de Charleroi qui proposait de voir, entre autres, certains travaux de Jean-Philippe Stassen. L’année d’après, ils réalisent ensemble Cœur des ténèbres, le premier commentant le texte de Joseph Conrad, le second l’illustrant. C’est ensemble qu’ils concrétisent ce projet de transposer le roman de Robert Louis Stevenson, L’île au trésor, dans une banlieue pas très gaie au milieu de laquelle un quartier est en cours de restructuration. Le contexte posé est donc assez sombre.
Comme à son habitude, J.P. Stassen propose un dessin qui peut être qualifié de naïf, tant par le trait que par la mise en couleurs, en décalage complet ce que le contenu peut avoir de dur (il suffit pour cela de se rappeler de la violence du propos de Deogratias, album dont l’action se déroule avant et après le génocide rwandais). Cette particularité de traitement donne une tonalité un peu particulière au récit, un peu comme si l’immense chantier n’était qu’un décor, comme si la réalité n’était qu’un leurre - un peu à la manière des univers développés au cinéma dans L’argent fait le bonheur de Robert Guédiguian, ou encore, plus récemment, dans Adieu Gary de Nassim Amaouche. À cela s’ajoutent les échanges quelque peu surréalistes qu’entretiennent les protagonistes, qui, entre deux fusillades, prennent le temps de philosopher sur leurs motivations. Jeux de dupes ? Pas sûr que Jacquot, l’œil du lecteur, soit aussi crédule.
Fable contemporaine, avec une issue qui reste incertaine jusqu’aux dernières cases, L’île au trésor parle d’argent sale, de supposées raisons d’État et de mensonges d’adultes.
> Entretien avec Sylvain Venayre
Il est des auteurs où je n'arrive pas à m'intégrer dans leur univers ne serait-ce que graphique. Je n'apprécie pas vraiment ces traits gras et ces grandes cases où les dialogues semblent prendre tellement d'ampleur. C'est statique à souhait. La colorisation est trop prononcée sur le violet.
L’œuvre de Robert Louis Stevenson fait l'objet ici d'une adaptation un peu plus moderne et totalement urbaine dans le genre chronique sociale. Une idée intéressante au départ mais qui m'a très vite lassé au vu du développement du récit. On peut décrocher assez facilement pour peu qu'on ne soit pas réceptif au message. Il faut dire que les personnages ont du mal à nous délivrer la moindre émotion tant le dessin est épais et trop simpliste.
Je crois bien que je préfère nettement l’œuvre originale qui est beaucoup plus exotique avec la mer, les navires et une vraie île au trésor.