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etrouver la recette oubliée des black shortbreads d’antan de l’acariâtre Moïra, l’aïeule écossaise du Duc de Montrose, tel est l’enjeu du nouveau pari opposant Sir Clifford Barnes et Lord Henri McDale. Celui-ci fait de nouveau appel au cookery counseller – ces consultants culinaires que la haute société victorienne s’arrachait à prix d’or – Victor Neville, qui lui avait assuré, sur le fil, la victoire dans le précédent opus de Nancy Peña, Tea Party. Sir Barnes diligente une nouvelle fois sa fille, Alice, qui se fait assister dans cette épreuve du propre frère de Victor Neville : Percy. Tous trois se retrouvent donc en Écosse, au château de Montrose, là-même où le père des deux counsellers trouva mystérieusement la mort bien des années auparavant, à la recherche de cette fameuse recette.
À la quête de l’ingrédient secret qui donnait son goût inimitable aux biscuits de la vieille duchesse, se rajoute donc une enquête criminelle sur la disparition inexpliquée de Neville Père, bientôt doublée d’autres disparitions étranges chez les serviteurs de la maisonnée et, enfin, se juxtapose une intrigue supplémentaire quant aux origines familiales des deux frères. La compétition fait rage entre ceux-ci, qui multiplient les chausse-trappes et les fausses pistes pour s’égarer mutuellement, et la jolie Alice Barnes, malgré son habituel kimono enchanté aux chats espions, ne peut guère qu’être spectatrice des drames qui se nouent au sein de ce château égaré sur la lande.
Nancy Peña possède un talent consommé pour tisser ses histoires enchevêtrant drame et comédie, réalité et fantastique, et parvient dans It is not a piece of cake - littéralement : c’est pas du gâteau – à maintenir constant l’intérêt pour chacun des fils du récit qu’elle déroule, tout en restant à mi-chemin entre tragédie et vaudeville, avec l’élégance et la fantaisie qui la caractérisent. Élégance et fantaisie, deux qualificatifs qui s’appliquent tout aussi bien au dessin de l’auteure, toujours aussi travaillé, déployant un encrage fin à la ligne relativement claire, mais alternant les larges aplats noirs mats, et les ombrages faits de hachures fines, pour un résultat oscillant entre naturalisme et symbolisme en adéquation avec la narration. Autres faits notables, l’absence totale de contour des cases qui renforce l’impact du contraste entre noir et blanc, et l’irruption d’une couleur unique, le rouge, pour souligner les passages oniriques ou fantastiques.
Ce troisième volet des aventures Du chat du kimono, autant de tomes qui peuvent se lire indépendamment, délaisse quelque peu le personnage d’Alice au profit de Victor Neville, véritable héros de la présente histoire. Rivalité fraternelle, quête familiale, passé trouble, meurtre jamais élucidé, attitude ambivalente du vieux duc, admiration inavouée d’Alice pour son adversaire, rôle des domestiques agissant dans l’ombre, l’abondance de péripéties est servie par un découpage limpide, virtuose même, et rythmée par l’alternance de scènes burlesques et de séquences où affleure l’émotion. Après l’unanimement acclamé Tea Party, une nouvelle réussite.
Le Chat du kimono ainsi que Tea Party avaient attiré mon attention par leur grâce et leur subtilité notamment au niveau du dessin. On se demande pourquoi l’auteure Nancy Pena ne franchit pas le pas en allant vers des éditeurs plus classiques qui mettraient plus en valeur ses œuvres. Il faut dire que le format n’est pas très emballant. La mise en couleur pourrait être améliorée sur un papier de qualité.
It’s not a piece of cake forme la troisième partie du chat du kimono. On se rend compte de tout le chemin parcouru depuis. Il est vrai que l’ensemble n’est pas très homogène. C’est un peu comme si on suivait le parcours d’une artiste de ses débuts à la réalisation d’une œuvre plus complète.
Cette troisième partie est une affaire de famille à résoudre dans l’Angleterre victorienne à la manière du célèbre Sherlock Holmes dont il sera d’ailleurs question par une espèce de clin d’œil. Le scénario est un peu plus élaboré que dans les précédentes œuvres.
On sent bien qu’il y aura une suite qui nous transportera en voyage sans doute vers la Chine.
Pour la petite histoire, mon épouse me voyant lire cette bd croyait sincèrement que je lisais un livre de recette de cuisine. La couverture lui rappelait l'un de ses ouvrages favoris. Elle n'en croyait d'ailleurs pas ses yeux. Cependant, si elle a une bibliothèque avec des centaines de livres de cuisine, je possède ma propre bibliothèque pour les bd. Il ne faut pas tout mélanger.