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ne petite ville de bord de mer - mexicaine ? - sert de théâtre à la nouvelle fiction de Tony Sandoval, qui publie également ce mois-ci, mais seulement en tant que scénariste cette fois, "Les échos invisibles". Une poignée d'adolescents, amateurs de musique metal, partage son temps entre les concerts, les répétitions et le disquaire du coin, et, qu'elles soient heureuses ou malheureuses, les amourettes, aussi fragiles qu'intenses. Parmi eux, Spaghetti, garçon sensible au physique de catcheur, Sep, le fidèle compagnon, et D, guitariste au talent encore incertain. La tragique perte de sa petite amie, Anny, va mener ce dernier entre désespoir et désarroi, rage et accablement, douleur qu'il sublimera et exorcisera à l'aide de sa guitare. Avec son acolyte Sep à la technique, D improvise chaque vendredi soir, lors de sessions sur la côte, de sublimes compositions qu'ils diffusent sur les ondes locales, devenant bien vite, à son insu, une légende parmi la jeunesse, sous le nom de "Doomboy".
Après "Le cadavre et le sofa" et "Nocturno", Tony Sandoval poursuit son exploration des territoires troubles de l'adolescence, mettant en scène les rivalités musicales et amoureuses de ces jeunes métalleux, leurs passions créatrices, l'homosexualité difficilement acceptée d'un des protagonistes, les jalousies... En somme, ce maelström de sentiments, amitiés éternelles et trahisons brutales, qui caractérisent cet âge. Si le folklore lié aux mouvances hard-rock est plutôt un peu moins présent que dans "Nocturno", les éléments oniriques ou surnaturels sous-tendent également une large partie du récit de ce nouvel opus, témoin ce trou dans la poitrine du héros qui représente physiquement sa peine, ou cette mystérieuse marchande d'étoiles, réelle ou fantasmée ?
Fidèle à son habitude, Sandoval alterne deux techniques pour illustrer cet ouvrage : l'une faite de crayonnés subtilement mis en couleurs - directes - et puissamment évocatrice, l'autre à base d'un encrage très fin et de couleurs sobrement placées, principalement en aplat. Les crayonnés étant ici réservés aux passages rêvés ou imaginaires, c'est la deuxième technique qui prédomine très largement. Ce qui, au vu du format à l'italienne qui met bien en valeur le travail de l'auteur, est un peu frustrant, tant la patte de Tony est magnifiée lorsqu'il emploie ses pinceaux sur un dessin non encré. Il est permis de supposer que c'est la différence de vitesse d'exécution qui précipite l'abandon progressif de sa manière la plus travaillée - et la plus expressive.
Malgré cela, le découpage reste très dynamique, le trait si typique de Sandoval fait encore merveille, traquant l'émotion au détour de chaque vignette, soulignant les sentiments de ses héros, aux yeux et aux nez minuscules perdus dans des visages immenses, triturant à loisir les bouches où se concentrent toute les passions animant les personnages.
Après les peu convaincantes "Bêtises de Xinophixerox", l'auteur mexicain renoue donc avec ses thèmes de prédilection, pour offrir au lecteur une jolie histoire légèrement teintée de fantastique, mêlant affres sentimentales et créatives. De quoi plaire à coup sûr aux aficionados de cet auteur singulier.
Une petite merveille de poésie brute et mal dégrossie, avec dans le désordre : la musique, les potes, les rivalités, les amours troubles, la solitude et l’irruption subtile du fantastique.
Le dessin toujours aussi expressif et ambigu de Sandoval (ses adultes ressemblent à des enfants) permet à l’auteur d’évoquer le thème du deuil et de la catharsis avec force et sensibilité.
Une BD très singulière où souffle un vent revigorant de liberté. A lire.