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u’est-ce qui peut rassembler sous terre une rousse solitaire, un éditeur un peu allumé, son neveu amoureux, son comptable grincheux, un garagiste bigot et un abbé toujours en train de pester ? Assurément, le sauvetage de Constantin, frère de la rouquine et auteur d’une théorie qu’il était parti vérifier dans les profondeurs terrestres deux mois plus tôt. S’appuyant sur Darwin, le jeune homme pensait que l’homme de Néandertal s’était réfugié dans les entrailles de la Terre, avait muté pour s’adapter à son nouvel environnement et créé une civilisation souterraine : la Satanie. Qu’ils croient ou non à ces assertions, les membres de l’expédition s’enfoncent toujours plus profondément et vont de surprise en surprise. Constantin aurait-il eu raison ?
Après Jolies Ténèbres, Fabien Vehlmann s’associe de nouveau au duo Kerascoët pour livrer une aventure spéléologique qui n’est pas sans évoquer peu ou prou le Voyage au centre de la Terre de Jules Verne. Un brin de poésie, une bonne dose de mysticisme doublée d’une autre, toute aussi généreuse, de science, du fantastique à l’envi et des caractères aussi forts que disparates, tel est le cocktail, explosif, concocté par le scénariste. Qu’on y ajoute un zeste d’humour et voilà de quoi porter un récit au synopsis prometteur. En la matière, le lecteur n’est pas lésé et trouve son compte dans ce premier tome qui l’entraine toujours plus loin dans les tréfonds terrestres. La matière ne manque pas, les péripéties se succédant sans répit et la vérification (ou non) de la théorie de Constantin titillant sans cesse l’intérêt.
Cependant, la narration se déroule par à-coups, sautant par moments d’une scène à l’autre sans transition ou passant de la réalité au rêve (ou cauchemar, c’est selon) sans différenciation. Le procédé, en soi, se révèle être assez en adéquation avec l’étrangeté de l’exploration souterraine, mais a plutôt tendance à perdre le lecteur. Par ailleurs, de nombreuses zones d’ombre subsistent quant aux personnages et aux raisons qui motivent leur rassemblement, tandis qu’une anarchie difficilement appréciable et quelque peu absurde préside à l’éviction de certains d’entre eux. Reste alors le dessin à quatre mains doté d’une incontestable fraicheur. Son trait souple livre des trognes un brin caricaturales dont il souligne les émotions et s’ingénie à restituer l’étrangeté des entrailles terrestres. Celles-ci doivent d’ailleurs beaucoup à la mise en couleurs qui joue allègrement sur les différences qui peuvent y exister : des gris ternes et pâles succédant à une pénombre ou une noirceur sans fin, avant de céder la place à des rouge et des orange infernaux.
Voyage en Satanie s'avère relativement plaisant malgré des défauts narratifs qui viennent en gâcher la découverte. Il dispose cependant d'autres qualités, suffisantes pour avoir envie d'y jeter un coup d'œil.
Une bédé injustement oubliée, à rattraper avec la parution inespérée du second tome dans une jolie édition