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rand classique de la littérature française ou du cinéma, le drame campagnard est un genre moins abordé en bande dessinée, ou bien alors il se teinte fréquemment de fantastique et de magie, comme dans les œuvres remarquables d’un Comès ou d’un Chabouté. Rien de surnaturel chez De Metter en revanche, le mystère n’est que trop humain, la tragédie bien réelle.
Un coin perdu de la campagne française dans les années 30, un village tranquille comme tant d’autres, le paisible cours des choses… Mais une sourde menace flotte, un voile d’inquiétude hante les familles, depuis qu’une adolescente a disparu sans laisser de trace. Ce calme est à peine troublé par l’arrivée d’un personnage d’importance dans la France rurale d’alors : le Père Vincent, le nouveau prêtre qui vient de prendre en charge son ministère. Si l’on devine chez celui-ci un passé parfois lourd à porter, son intégration se passe sans heurt, et le voilà bientôt sympathisant avec l’une des figures marquantes du village, le vieux docteur Jarowski. Le médecin, mécréant convaincu et misanthrope patenté, et le religieux, profondément humaniste, vont nouer une relation faite de joutes verbales et d’admiration réciproque.
Mais bientôt, l'abbé est appelé en urgence au chevet du vieux notable. Celui-ci sent venir sa fin et désire soulager sa conscience d’un poids insupportable. Cette scène de la confession est en tous points remarquable, l’intensité dramatique grandissante est gravée dans cette succession de gros plans, sur les visages, sur les regards, et soutenue par le contraste violent du couvre lit rouge – rouge sang, bien sûr - avec les tons blafards des murs de la chambre et des visages. La révélation du médecin est si inattendue que le curé peine à croire à sa véracité. Pourtant, lorsque contre toute attente, le mourant recouvre la santé, notre prêtre devra affronter le regard insondable du docteur, ses propres démons intérieurs, sa conscience tourmentée par le secret dont il est dépositaire, autant de combats dont il serait sorti vainqueur sans l’arrivée de la belle, de la douce, de la lumineuse Clara, qui va bouleverser ce fragile ordre établi.
Sans être d’une originalité folle, l’intrigue est bien dosée, l’enchainement des scènes fluide, le suspense habilement ménagé. Mais ce qui distingue avant tout Le curé, c’est la manière de De Metter, sa matière pourrait-on dire : il multiplie les coups de pinceaux, les couches de peinture, le crayonné sous-jacent n’apparaissant qu’en de rares occasions, pour un résultat éblouissant, faisant de l’auteur l’un des plus brillants praticiens de la couleur directe.
Cette réédition en intégrale est une bonne occasion de découvrir cette œuvre de jeunesse de De Metter, dont le style si particulier était déjà parfaitement maitrisé et abouti, ou de faire une petite promenade agreste dans la France de 1935 au côté de ce héros à l’âme tourmentée mais profondément humain.
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