L
e prêtre Nicolas Eymerich, devenu Inquisiteur, se doit de trouver une explication à ces apparitions dans le ciel, une origine à cet immonde enfant à deux têtes, retrouvé noyé dans les catacombes de son propre monastère. Il le doit pour sa santé mentale. Non, pour l'Eglise ! Il devra pour cela rejoindre la ville d'Ariza et retrouver Elisen Valbuena, sage-femme détenant la réponse à de nombreuses questions. L'ecclésiaste devra se hâter dans sa quête car, même à couvert, le Malin saura débusquer l'homme de foi et lui accorder son attention, toute malveillante...
Lire ce second tome de Nicolas Eymerich Inquisiteur, c'est un peu avoir l'impression de se retrouver dans le mauvais camp. Si la volonté de Valerio Evangelisti, auteur du roman inspirant la série, a été de créer le schisme religieux avec notre conception moderne du christianisme, l'entreprise est bel et bien réussie. Difficile en effet de ne pas s'émouvoir du massacre d'un village entier, commandité par l'Inquisiteur Eymerich. L'horreur est d'autant plus présente que l'on connaît le personnage - 'héros' n'est sans doute pas approprié- jusque dans les manies de son quotidien. Seulement, Eymerich le confessera lui-même, en véritable gardien de la Foi, citant un Christ vindicatif: " Le Christ non plus ne se souciait pas des moyens à employer".
La série a ce mérite d'apporter un certain éclairage sur l'application de la Foi au 14ème siècle: tout autre culte que celui de Dieu ne peut-être que d'essence maligne. L'autre culte en question est celui de Diane, célébrée par celles que l'on qualifiera à l'époque de 'sorcières'. Mais plus que cette intolérance, autiste à toute autre forme de croyance, les auteurs parviennent à exposer très efficacement la primordialité de la Foi comme garante d'un système politique basé sur la stabilité et la soumission de son prochain. La conclusion de ce second tome est un parfait exemple de cynisme, laissant le lecteur en proie au doute quant à la véritable position de l'Inquisiteur. A-t-il agi guidé par sa seule Foi ? Reconnaît-il l'existence de Diane ? Ou bien nie-t-il les évènements dans le seul but de perpétrer l'influence de l'Eglise sur le royaume espagnol ? Que peut alors révéler le paradoxe de cet écclésiaste contraint d'invoquer Satan pour restaurer le pouvoir divin ? La conclusion de ce second tome s'avère riche d'interrogations.
Questionnant sur le fond, Nicolas Eymerich l'est aussi sur la forme. La peinture impressionniste de David Sala permet au lecteur de se faire une idée assez précise des couleurs de l'époque. On respire l'insalubrité des bâtisses, on frissonne à l'idée de passer une nuit dans ces cellules monacales, on s'époussetterait presque, entre deux pages, de la poussière remuée par un long voyage à cheval... Statique, le trait de Sala n'en est pas moins capable d'émotion. La force des regards échangés nous offrent à ce titre l'économie d'expressions véritablement marquées. Mais ce sont définitivement ses couleurs qui donnent au dessin son épaisseur. Sourdes, elles semblent découper le trait, et redessiner elle-mêmes les formes, les éclairages, illuminer les visages... jusqu'à la torture visuelle. S'il n'est pas d'un accès facile, le style de Sala présente néanmoins toutes les qualités requises pour la narration.
Ce "Nom de la rose" n'a rien d'hollywoodien et le message qu'il véhicule a de quoi éveiller la conscience de nombreux lecteurs sur la réalité du culte chrétien tel qu'il a pu être pratiqué au Moyen-Âge. Dénué de toute morale - ou, du moins, de valeurs qui fassent écho à notre entendement contemporain-, Nicolas Eymerich demandera, à un moment ou à un autre, l'effort de se positionner quant aux actes et aux véritables motivations du personnage central. C'est l'une des forces de cet album.
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