Q
uelques économies, un héritage conséquent à venir, du temps devant soi et une amie à Shanghai, il n’en faut pas plus à Pierre pour décider de passer trois mois en Chine. Même si la copine n’est pas là pour l’accueillir, qu’il ne fait que balbutier l’anglais, des Français expatriés sont là pour l’initier, le guider, lui montrer les « bons coins » et toutes les possibilités offertes par l’immense Shanghai. Sorties, restos chics, achats multiples, l’argent file entre les doigts de Pierre. Mais l’héritage tarde à lui être versé et ses yuans fondent comme neige au soleil. Refusant d’emprunter à ses compatriotes, le jeune homme décide d’économiser le moindre sou pour pouvoir se nourrir. Promenades à pied et repas chiches lui permettent de découvrir la ville et d’appréhender la vie autrement.
Après Mes Affinités sélectives, Sylvain Saulne revient avec un nouvel album inspiré de sa propre expérience en Chine. Ce côté largement autobiographique se ressent tout au long d’un récit sans complaisance qui se déroule en deux parties.
La première tient dans ce constat lapidaire : « Je contribue à l’idée que les Chinois se font de nous, j’ai du fric et je le dépense ». L’auteur y décrit les premiers pas de son héros à Shanghai, au milieu d’autres Français qui profitent totalement et sans complexe de leur pouvoir d’achat largement supérieur à celui des autochtones et qui ne s’émeuvent guère de sortir avec des filles plus intéressées par le contenu de leur portefeuille que par leur personnalité réelle. Pourtant, si Pierre joue totalement le jeu, certains détails semblent déjà le faire légèrement tiquer. Néanmoins, c’est lorsqu’il se retrouve dans la dèche qu’il commence vraiment à s’interroger et à fixer son attention sur d’autres choses que ce qui lui a été montré jusque-là. L’histoire prend alors une tournure très différente qui touchera le lecteur différemment en fonction de sa sensibilité. Ainsi, certains pourront trouver, à l’instar des « amis » qui l’entourent, que le héros s’avère plutôt immature dans son refus d’être aidé. D’autres apprécieront à sa juste valeur cette attitude certes têtue mais bien plus riche d’enseignements.
L’importance de ces deux périodes et leurs différences radicales sont d’ailleurs soulignées par la colorisation de Sylvain Saulne. En effet, les couleurs se ternissent insensiblement au fil des planches jusqu’à ce qu’à la moitié de l’album, le personnage principal nage dans des nuances grises d’où se détachent son unique objet de préoccupation : la nourriture, colorée, elle. L’ambiance, totalement changée, n’en ressort que plus vivement, tandis que le propos gagne ainsi en force et se révèle encore plus marquant. Ce dernier aspect constitue l’un des plus importants atouts d’un album dont le graphisme, marqué par des visages aux larges nez proéminents et aux râteliers dentaires dignes d’une pub pour dentifrice, sera diversement apprécié bien qu’il ne soit nullement désagréable.
Ca ne coûte rien propose une plongée plus qu'intéressante dans une expérience aussi inattendue qu'inédite. On s'y laisse prendre avec plaisir et curiosité. À découvrir !
Je ne pense pas que la démarche de l'auteur était de nous faire découvrir la Chine et notamment la ville champignon de Shanghaï. C'est juste un cadre pour une expérience pas si bizarre que cela puisqu'elle a pour fondement de nous faire découvrir la vraie valeur des choses. La comparaison avec la Chine de l'ère olympique était sans doute utile pour accentuer le propos.
Il est vrai que la jeunesse dorée dépense sans compter que cela soit à Paris ou dans d'autres villes prestigieuses du monde. Elle n'a pas de souci d'argent alors pourquoi se priver de tout pour faire la fête. A côté de cela, il y a des gens qui crèvent réellement de faim. A chaque fois qu'on tient ce discours, on se fait vite taxer d'alter-mondialistes ou proches des idées communistes comme pour justifier l'impensable à petit prix.
La contrainte consiste à se mettre dans la peau de ces malheureux et essayer de vivre avec peu. Cela va conduire Pierre à certaines extrêmités qui mettront mal à l'aise. Je pense que cette démarche était bien nécessaire pour comprendre et qu'il n'y a rien de réellement égoïste. Au contraire ce faisant, il va se rapprocher de la culture chinoise.
Bref, une bd réflexion sur les vraies valeurs pour un voyage introspectif. Le voyage touristique devient un récit auto-biographique intéressant par l'auteur d'Effleurés qu'il avait signé sous le nom de Sylvain Limousi. A noter qu'il vît en tant qu'expatrié en Chine et que son dessin est toujours aussi agréable.