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uvrir certains albums de Jirô Taniguchi (Au temps de Botchan, Mon année, Quartier Lointain, Un zoo en hiver, etc.), qu’il s’agisse d’une adaptation ou d’une œuvre originale, c’est comme pénétrer dans un jardin, s’y asseoir et se laisser envahir par les multiples sensations nées de cet environnement paisible. Ou encore, c’est comme savourer une de ces fameuses madeleines en buvant un thé – un café pour ceux qui préféreraient - à petites gorgées et s’attarder sur les mille délices procurés par une telle dégustation. C’est s’affranchir du temps, du tic-tac implacable de la vie qui défile, c’est savoir s’arrêter un instant, freiner une existence trépidante pour goûter un moment éphémère. C’est verser de l’action, plus ou moins rapide, d’un quotidien perpétuellement en mouvement à une douce contemplation emplie de quiétude.
Proposant une plongée en images dans le roman éponyme d’Hiromi Kawakami, Les années douces ne fait pas exception et possède les qualités déjà maintes fois appréciées dans les productions du mangaka. Tourné sur les pensées et les ressentis de Tsukiko, une trentenaire assez indépendante, le récit narre ses rencontres, au gré du hasard et le plus souvent au comptoir d’un bar, avec son ancien professeur de japonais dont elle a oublié le nom et qu’elle nomme simplement « le Maître ». Face à un verre de saké ou un bon plat, ils échangent quelques mots, partagent des impressions, comblent leur solitude respective. Petit à petit, leur relation s’approfondit et prend, pour la jeune femme, une importance nouvelle. D’une période sans se voir, teintée d’amertume, à la frustration née de l’attitude détachée du vieil homme ou de ses formules désuètes, les sentiments de Tuskiko, toujours plus profonds, sont décrits avec justesse à travers des phrases aussi sobres qu’éloquentes et une grande expressivité – une moue, l’ébauche d’un sourire, un froncement de sourcil suffisent.
L’évolution progressive et tranquille du rapport entre les deux personnages évoque une promenade paisible que l’incompréhension de l’héroïne suivie de deux ou trois mouvements d’humeur incontrôlés ne parvient pas à bousculer ni à accélérer. Cette lenteur du rythme, loin d’ennuyer, procure une agréable détente et prépare en douceur aux scènes à la fois touchantes et fortes du rapprochement inévitable des protagonistes. Ainsi, lorsqu’arrive l’inéluctable dénouement, le lecteur ne se sent-il ni lésé ni frustré, mais plutôt en phase avec le propos soutenu magistralement par le dessin détaillé et réaliste de Taniguchi. Issus d’un ouvrage postérieur d’Hiromi Kawasaki, les deux derniers chapitres, intitulés Parade, prolongent le plaisir en y ajoutant une touche légèrement fantastique.
S'appuyant sur un graphisme qui a déjà de nombreuses fois fait ses preuves, ce deuxième tome des Années douces clôt avec aménité et sans fadeur une nouvelle balade emplie de poésie et de justesse.
>>> Lire la chronique du tome 1 des Années douces
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