L
’île aux cent mille morts et son trésor… Gweny vient de trouver une de ces bouteilles jetées à la mer, avec, glissée à l’intérieur, une carte indiquant l’emplacement du convoité butin. Pour la petite, ce bout de parchemin est lourd de sens : son père, disparu il y a cinq ans, serait parti suite à la découverte d’un document similaire. C’est tout du moins ce que dit la légende, car de mauvaises langues soutiennent qu’il se serait carapaté pour fuir la folie de son épouse. De retour à la maison, Gweny annonce à sa mère son intention de retrouver son père ; ça se passe mal (oui, la folie...). Le fille s’enfuit et va faire part de sa trouvaille à des pirates. Embarquement immédiat !
Si l’histoire est bien construite, et intègre parfaitement le côté surréaliste de l’idée centrale - une école pour enfants dont l’enseignement est tourné vers la pratique de la torture -, le plus substantiel potentiellement espéré de celui qui a écrit Les derniers jours d’un immortel et Jolies ténèbres, des livres profonds par ce qu’ils agitent chez le lecteur, par ce qu’ils vont explorer, n’est pas au rendez-vous. Si Vehlmann aurait eu du mal à trouver sa place dans un album muet comme Chhht !, même s’il excelle à suggérer, il ne ressuscite pas pour autant le Jason d’Attends..., tant regretté par le lectorat de ce dernier. Cet album se caractérisait par une construction qui se concentrait sur la mise en perspective, par rapport à son environnement, d'un micro-événement dramatique plus ou moins absurde, lui conférant ainsi toute sa violence réelle. Dans L’île au cent mille morts, c’est pour ainsi dire l’inverse : une absence de sens d’ensemble au profit d’une grande absurdité syncopée. La démarche est donc toute autre, pas nécessairement celle attendue.
Une autre lecture de cet album, neutre et essayant de faire abstraction du passé de ses auteurs, amène à découvrir un livre se rapprochant par certains aspects de l’univers extravagant des Monty Python, non dénué d’une certaine légèreté. Vu de cette manière, la cohérence du tout perd de son importance, ce qui prime, c’est la manière de raconter. En page de garde, Vehlmann remercie la personne qui lui a fait découvrir le travail de Jason. Cela mérite d’être précisé, car ce n’est sans doute pas anodin dans le cas présent où le scénariste s’est pour ainsi dire effacé pour se plier au style narratif qui caractérise le dessinateur norvégien, habitué à œuvrer en solo. Il est donc permis de supposer qu’il s’agit plutôt ici d’une sorte d’exercice de style, ludique, que d’une soumission à quelque chose d’annihilant par sa spécificité. Ce n’est pas pour autant que la construction a été laissée pour compte, au contraire, L’île au cent mille morts est très fluide, découpé par séquences, clairement partitionnées par le coloriste Hubert au moyen d’une mise en couleur par aplats très contrastés, qui octroie aux différentes situations des tonalités dominantes tranchées. Là, le trait caractéristique de Jason, expurgé de tout dispensable, qui se concentre exclusivement sur ce qui est utile à la narration, permet beaucoup de choses dans le comique de situation. Cet art de raconter en images se révèle d’une efficacité certaine pour diluer dans les planches, souvent sans prévenir, un humour "so british". Celui-là même qui sied si bien à celui qui sourit quand il se brule. Jouant sur la gestuelle, sur le rythme et ses cassures, initiant avec à-propos des décalages entre le texte et l’action, le duo ne manque pas de faire sourire, et cela à plusieurs reprises.
Enfin, cet album s’inscrit parmi ceux pré-publiés sur le site 8comix qui propose gratuitement la lecture en ligne de bandes dessinées. Le fait que des auteurs de ce calibre s’y essayent témoigne que le sujet n’a rien d’anodin. Force est de constater que le style épuré et ordonné de Jason, associé l’utilisation tranchée de couleurs basiques et uniformes évoquée plus haut, se prête particulièrement à une lecture sur écran.
L’île au cent mille morts rejoint les rangs de la collection pour le moins hétéroclite (et un rien fourre-tout) de la maison d’édition Glénat "1000 feuilles". S’il peut décevoir du fait du passif de ses auteurs - il était possible d’attendre quelque chose de moins superficiel de leur part -, sa lecture sans "a priori" offre un agréable moment. D’une part, ses planches sont truffées d’un humour pince-sans-rire qui est le fait d’un indéniable savoir-faire, d’autre part, derrière la simplicité apparente se cache une maîtrise solide du 9ème art. Certains auraient aimé en voir un peu plus.
Cette drôle d'histoire de pirate est le fruit d'une collaboration assez inattendue entre l'étrange Jason et le prolifique Fabien Vehlmann.
Jason, auteur plutôt discret et dessinateur norvégien installé dans la belle ville de Montpellier. Il travaille généralement seul sur des scénarios décalés et poétiques, dans lesquels il met en scène des personnages insolites (de drôles de chiens et de volatiles au regard vide).
Pour l'île aux 100 000 morts, il s'est associé avec Fabien Vehlmann, scénariste plus connu du grand public (Seuls, Jolies ténèbres...). Et le résultat est forcément étonnant : nous faire découvrir une étrange île où l'on forme les futurs bourreaux !
Le début de ce scénario paraît très intrigant. Il est vrai que Fabien Vehlmann construit un récit sans temps mort avec une violence banalisée. On découvre un humour noir assez féroce qui n'était pas vraiment coutumier de l'auteur. On sentira presque l'influence manifeste de Jason. Ce dernier, quant à lui, reste fidèle à ses cases répétitives, ses décors minimalistes, à la simplicité de son dessin et à l’étrangeté de ses personnages dans un style faussement naïf. C'est presque trop cynique et trop cruel pour convaincre totalement le lecteur. Il faut s'accrocher !
J'ai quand même bien aimé ce titre mais je dois dire que j'ai surtout été attiré par le fait même de cette étrange collaboration entre deux auteurs dont je connaissais bien les oeuvres. Un titre à découvrir !
Drôle, absurde, surréaliste, loufoque et cynique, L'ILE AUX CENT MILLE MORTS se lit avec beaucoup de délectation. Certes, l'album lorgne - beaucoup - du côté de DONJON ou d'ISAAC LE PIRATE, mais bien que qualitativement inférieure à ces deux monuments, la bande-dessinée de Velhmann et Jason demeure hyper plaisante à lire. Le dessin, la mise en page et la colorisation sont d'une grande simplicité, et font parfaitement écho au ton absurde du scénario. Une vraie réussite.
Des pirates qui ont des problèmes de famille et des doutes existentiels ? Un monde médiéval de tortures au sein du quel éclate quelques gerbes d'humour au second degré ? Ça vous dit quelque chose ? Seuls sont qui ont la mémoire très courte ou ont vécu dans une grotte au cours des 10 dernières années ne feront pas le parallèle entre cette "Ile aux cent mille morts" et des séries géniales comme "Isaac le Pirate" et "Donjon". On ne reprochera pas à Vehlmann et Jason leur admiration - que l'on partage - pour ces deux monuments, on aurait seulement souhaité que l'inspiration (parlera-t-on de plagiat ?) les aient emmenés vers des terres nouvelles plutôt que vers une simple resucée - en moins bien, en nettement moins bien, tant graphiquement que thématiquement... - de leurs modèles.