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eter Pan est un monument, de la littérature d'abord et, depuis maintenant 14 ans, de la bande dessinée (ne nous attardons pas sur le 7e art dont les différentes adaptations ont néanmoins contribué à la renaissance du mythe). Tout enfant devenu adulte, ou qui va le devenir un jour, a en partie construit ses rêves sur l'univers de Sir James Matthew Barrie. Ce puits de songe qu'est Peter Pan, nous le devons évidemment à son auteur d'origine, mais sa remise au goût du jour doit également beaucoup à l'adaptation de Régis Loisel dont la fin paraît aujourd'hui.
Les pirates ont quitté l'île, les enfants jouent entre eux en admirant à tour de rôle la photo d'une maman virtuelle et Peter Pan est bien leur chef. Tout va bien dans le meilleur des mondes imaginaires, jusqu'à ce que la jalouse Clochette décide de jouer la mauvaise fée...
Loisel a décidé de nous conter l'origine de l'histoire, celle que Sir J. Barrie nous a cachée, sûrement de peur de nous effrayer. Celle qui chamboule nos rêves, nos souvenirs du Peter Pan originel ou adapté fidèlement de l'original. Car en 14 ans de création (le 1er tome est sorti en 1990) Loisel s'est appliqué à nous donner sa vision de ce conte pour enfants qui, ici, s'adresse surtout aux adultes. Exit la bonhomie, la bonne humeur et le bon humour, tout devient plus grinçant, plus cruel. Est-ce la vraie nature des enfants qui nous est dévoilée ici ? Peut-être pas, mais l'auteur se glisse magistralement dans leur esprit et parvient à nous décrire leurs vraies pensées.
Les enfants ne sont pas cruels, non, mais ce sont des enfants et, à ce titre, ils agissent selon leurs envies en étant persuadés de leurs bons droits (même s'ils ne savent pas ce que peuvent être leurs droits). Loisel nous le démontre de la plus belle des façons, sans sensiblerie ni faux-semblants, mais avec le ton juste d'enfants jouant aux adultes.
Pour ne pas sombrer dans la folie après une 1ère lecture, il est nécessaire de se raccrocher au dessin qui nous a permis depuis le début de rêver devant les formes de la fée Clochette, de sourire aux pitreries de Mouche ou de Crochet et de suivre Peter Pan dans ses voltiges. Point d'usure, même si Loisel avait hâte de se débarrasser de ce fardeau et d'achever cet ultime album. Le trait est toujours aussi nerveux et colle aussi bien à l'île imaginaire qu'au Londres sordide de Jack l'éventreur. Les couleurs sont de circonstance, sombres comme les destins des différents personnages. La lumière s'est tue comme pour mieux laisser planer le doute sur les relations Peter Pan/Jack l'éventreur, et le doute plane...
Ce tome 6 est sans aucun doute le plus dur de tous et la série connaît une fin plutôt abrupte. Fin qu'au fond de nous-même, nous aurions aimée plus joyeuse ou plus légère. Ce n'est qu'avec le recul que nous ne pouvons qu'approuver un épilogue qui détruit notre part d'imaginaire, mais qui était inéluctable. Ne pas tomber dans la facilité, ne surtout pas bâcler une série et aller jusqu'au bout de ses intentions premières est une faculté que peu d'auteurs peuvent se targuer d'avoir. Faire l'effort d'accepter cette fin est également une grande qualité. Alors passez outre vos rêves d'enfants. Une fois finie votre lecture, jetez-vous sur le roman ou le DVD de Walt Disney, car Loisel nous laisse là où l'histoire de vos rêves commence.
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