T
out au bout du Chili, aux confins du monde, la terre reste hostile. Peu de monde y passe, encore moins veut y vivre. Entre les cailloux arides et les steppes froides, Paolo et sa famille sont installés depuis longtemps. Parfois, ils accueillent quelques voyageurs, poètes, géologues ou scientifiques. Ils partent aussi vite qu’ils arrivent, à l’exception d’Angel Allegria qui décide de rester, de s’installer là. Angel n’est pas un promeneur, mais un fuyard, un truand, un tueur. Il élimine les parents de Paolo et garde l’enfant avec lui. Au fil des ans, il l’élève comme son fils, lui demandant de l’appeler « papa ». La monotonie s’installe à nouveau jusqu’à l’arrivée de Luis Secunda, jeune héritier qui préfère prendre racine dans ce lieu austère que de voyager comme le veut sa famille. Mais Allegria réprime avec difficulté son instinct de tueur et accepte mal d’avoir un voisin. Paolo, lui, perd une fois de plus ses repères.
Contemplatif est l’adjectif le plus évident pour décrire cet album aux superbes panoramas et à l’action limitée. Le traitement des cases, de la nature omniprésente, ainsi que la douceur des camaïeux de couleurs brun/beige et noir/bleu, en font un livre enchanteur. Le lecteur ne peut que se plonger dans ces contrées lointaines et rêver d’évasion. La vie triste et dure de Paolo devient un prétexte pour conduire son regard vers la sobriété des paysages et la simplicité poussée à son paroxysme. Le travail graphique, très personnel, évoque les dessins aux pochoirs où les formes naissent par contraste entre le fond monochrome et le noir de la silhouette. L’émotion est véhiculée avec finesse et sans artifice. L’adéquation est parfaite avec la nature âpre de l’extrême Sud du Chili.
Librement inspiré du roman d’Anne-Laure Bondoux, sorti en 2003 et de nombreuses fois primé, Les larmes de l’assassin s’éloigne de la littérature jeunesse pour en faire un livre plutôt destiné aux adultes. La narration est, ici, portée par la qualité graphique et l’équilibre des planches faites de grandes cases et de textes en dehors. Le livre d’Anne-Laure Bondoux touche par son humanité et les émotions qu’il véhicule, alors que l’album fait mouche par l’authenticité de son dessin. Les larmes de l’assassin est un album tout en finesse qui ravira les âmes sensibles.
Est-il possible à 44 ans de retomber dans les travers de l’adolescence ? Ressentir tant d’émotion à la lecture d’un auteur, d’un poète, ou à l’écoute d’un chanteur-compositeur, qu’on souhaiterait le fréquenter personnellement et devenir un ami proche ? Ce transport est-il une chance, un leurre, une pitoyable régression, ou tout cela à la fois ?
Quelle que soit la réponse, je partage avec vous mon coup de foudre pour les deux seuls romans graphiques que j’ai pu lire du sensible et subtil Thierry Murat. Ils m’ont remué les tripes. Ils m’ont fait réfléchir. Ensorcelée.
Il s’agit de son album récent « Etunwan-Celui-qui-regarde » (Futuropolis, 2016) et d’une œuvre plus ancienne « Les larmes de l’assassin » (Futuropolis, 2011). Les deux sont dessinés dans un style graphique reconnaissable par ses tons ocres, ses ombres à l’encre de chine, jouant à la perfection du clair-obscur. Les récits nous captivent par le truchement du journal intime ou du carnet de voyage/expédition.
« Les larmes de l’assassin » conte les souvenirs d’un enfant de Patagonie. Vivant comme un sauvageon dans l’endroit le plus au sud de cette région du Chili, battue par les vents, vaste et caillouteuse, Paolo doit cohabiter avec l’assassin de ses propres parents. Puis un jour, arrive un nouvel étranger, qui lui aussi décide de s’installer sur ces terres reculées...
Une rencontre improbable entre un enfant, un assassin et un poète, toute en subtilité. Un très beau texte et des images de paysages désertiques sublimes. Et malgré tout cela, je crois que ce qui m'a le plus touchée dans cette histoire, ce sont les silences, les non dits.
Histoire sordide : un assassin se pointe dans une maison isolée et, pour être tranquille car il est pourchassé par toutes les polices imaginables, il zigouille les occupants. Sauf un enfant...
Une relation ambiguë se noue entre cet enfant et son parricide. Relation qui semble mise en danger par l'arrivée d'un étranger que l'assassin accepte sans le suriner.
La mise en images de ce roman ne m'a pas accroché. Je trouve le texte assez plat et un peu redondant avec les images. Le talent aurait sans doute été de faire le même album sans paroles.
Les traits et les couleurs sont bien adaptés à l'histoire (beaux dessins monochromes). Par contre, je ne comprends pas ce choix de caractères presque typographiques pour le lettrage.
En résumé, une bonne histoire, sans doute, mais qui me laisse un peu sur ma faim. Et je n'ai même pas eu envie de lire le roman. J'ai préféré imaginer ce que Murat ne nous a pas dit et qui doit quand même être dans le roman...