L
e 15 août 1945, l’empereur du Japon, Hirohito, annonce à sa nation une capitulation sans conditions. L’auteur, Kazuo Kamimura, braque son focus sur la plaine du Kantô, plus précisément sur les environs de la commune de Sõsa. C’est là que vit, chez son grand-père, Kinta, un jeune garçon que le lecteur est invité à suivre dans cette chronique de l’enfance. Alors que les équilibres qui permettent un contexte un tant soit peu normal ont été faussés par la guerre, sa fin marque le début de la reconstruction. Si les lieux n’ont pas été saccagés, les morts ne reviendront pas, les retours du front ne sont pas simples et la réorganisation nécessitera du temps.
Ce premier tome de La plaine du Kantô, publié au Japon, en 1976 a beaucoup d’une œuvre initiatique, avec, selon toute vraisemblance, une bonne part d’autobiographie. C’est sur des rencontres que se joue ce qui est raconté : un voisin vénal, un ex-soldat marqué par ce qu’il a vécu, une femme qui lui sauve la vie, un illustrateur connu... L’habileté de l’auteur réside dans la manière dont il représente les réactions de l’enfant confronté au monde adulte et à ses déviances. S’il ne perçoit pas toutes les subtilités, il ressent parfaitement ce qui peut être incongru dans ce qui se passe autour de lui : il enregistre, voire encaisse, et s’en accommode. Cela est moins vrai dans sa relation avec ceux qui ont son âge, avec lesquels il peut être plus impulsif et laisse parler son cœur. Deux êtres qui n’ont rien de semblable lui servent de repères. D’un côté, son aïeul, figure de sagesse locale, sur lequel il peut se reposer. De l’autre, Ginko, sa voisine délurée, avec laquelle il peut partager. Si le vieil homme lui apporte l'apaisement, ce n’est pas le cas de la jeune fille.
L’auteur de Lorsque nous vivions ensemble semble apprécier de sortir des sentiers battus, voire d'emprunter des voies fort éloignées de tout manichéisme ; l’être humain dans toute sa complexité. Le regard qu’il porte dessus peut être dérangeant, car ce n’est ni plus ni moins que celui de gamins, néanmoins, il offre par ce biais un angle de vue qui n’est pas commun ; sans doute pas si neutre que ça. Dans une courte introduction, K. Kamimura parle de sa volonté d’écrire des ouvrages d’une certaine profondeur. Il évoque aussi, en parallèle, l’importance des paysages dans lesquels il a vécu, et ce besoin de les dessiner. Il distille ainsi, dans ce qu’il peut montrer de laid, ou tout du moins de commun, une certaine beauté qui apaise le propos, lui enlève de sa gravité, lui confère une dose de naïveté. Non dénué d’humour, il en joue, et, grâce à une construction habile de son propos, il dispose d’atouts pour prendre son lecteur dans ses filets. C’est ainsi qu’il offre, sans prévenir, une amusante, troublante et désarçonnante leçon de démocratie.
Résolument pour adultes, tant pour ce qu’elle peut montrer (même s’il existe à n’en point douter bien pire) que pour ce qu’elle pose comme questions, La plaine du Kantô est une bande dessinée remarquablement construite, qui va crescendo d’un point de vue qualitatif au fur et à mesure que les chapitres s’écoulent. Que de promesses pour le tome 2.
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