D
ans un paysage apocalyptique, portant un panier de victuailles et un baluchon plein d’ustensiles, une femme en armure, l’épée dans une main, une poêle dans l’autre, avance, mi-hagarde mi-déterminée, vers la gueule des Enfers. Elle s’appelle Margot, on la surnomme « la folle » ou « l’enragée ». Et elle sort tout droit d’un tableau de Brueghel l’Ancien (vers 1525-1569)*. Mais, le peintre, saisissant la scène au vol, a omis d’en donner les clés. Muriel Blondeau comble cette lacune à travers un conte médiéval fantastique qui ne manque pas de piquant.
Tout commence dans un village ravagé par la peste où Margot et son époux, épargnés par le fléau, sont agressés par le troisième survivant. Durant la bagarre, Marinus est touché par une flèche et son corps est entraîné vers de hautes montagnes. Aussitôt, Margot lui court après et tombe sur une bande de squelettes qui emportent son mari toujours plus loin. Elle les suit et pénètre dans un autre monde, extravagant, où elle fait bientôt la connaissance de Skepiete, un membre de la danse macabre. Celui-ci lui apprend que Marinus a été victime du cavalier de l’Apocalypse et que pour le retrouver, voire le sauver, elle devra descendre au plus profond des Enfers. Il en faut plus pour dissuader Margot d'affronter le sinistre chevalier...
Dès les premières pages, l’auteure met le lecteur dans l’ambiance, étrange, grinçante, détonante et amusante. Puis, elle déroule son récit, haut en couleurs et échevelé, digne de la folie régnant dans le tableau qui l’inspire et dans ce XVIe siècle aussi magnifique qu’inquiétant et saisissant qui en forme la toile de fond. Les péripéties, rocambolesques à souhait, se succèdent selon un rythme trépidant, tandis que les protagonistes parcourent des lieux baignant dans une fantasmagorie débridée. Il est difficile de ne pas se sentir aspiré, bousculé, aspiré par ce maelström onirique qui entraîne toujours plus loin et se révèle bien souvent jouissif de par le verbe, les rebondissements, nombreux et bien amenés, ainsi que le dessin. Sans être grandiose techniquement, celui-ci participe entièrement à la force narrative, grâce à un bestiaire très diversifié, inspiré de Brueghel (forcément) et de Jérôme Bosch, des personnages truculents et une mise en page dynamique qui s’affranchit fréquemment de l’espace confiné des cases pour envahir, parfois anarchiquement, les planches.
S’il pourra en dérouter quelques-uns, Margot la folle se révèle un album particulièrement plaisant, cocasse et savoureux. À essayer !
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* L’œuvre, intitulée « Dulle Griet » (ou « Margot l’enragée ») et datant de 1562, est conservée au Musée Mayer van den Bergh d'Anvers, en Belgique.
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