Nouveau Monde 1. Emie

A cadie, une nuit de mai 1755. Un navire britannique, le "Bristol", s'échoue sur la côte. Une bande de naufrageurs attend. Mais Emie Thurney, la jeune femme qui semble commander aux rescapés, a un caractère bien trempé... et ce sont les brigands qui se font massacrer. Le lendemain, le petit groupe fuit devant une troupe de soldats anglais qui débarquent sur la plage, et prend la direction de Boston, où Emie entend bien récupérer ses enfants...

L'un des atouts du premier tome de Nouveau monde, nouvelle série signée par Denis-Pierre Filippi (scénariste notamment des Corsaires d'Alcibiade et du Croquemitaine) et Gilles Mezzomo (dessinateur de Luka, Ethan Ringler et récemment contributeur de la série Destins), est assurément la manière dont il parvient à user d'un matériau assez traditionnel tout en restant constamment intrigant et surprenant. C'est peu dire que le contexte choisi pour développer cette histoire a déjà donné lieu à de nombreuses bandes dessinées, pour ne parler que de ce medium (Fort Wheeling, Les pionniers du Nouveau Monde, Canoë Bay, etc., etc.). Certaines scènes en rappelleront sans doute d'autres aux amateurs du genre, telle celle de l'attaque d'une colonne anglaise qui, jusque dans les choix de cadrage de Gilles Mezzomo, semble faire référence à une séquence semblable de la célèbre adaptation cinématographique du Dernier des Mohicans par Michael Mann. Pour autant, Denis-Pierre Filippi sait maintenir une atmosphère mystérieuse et tenir son lecteur en haleine. Les brusques revirements de situation, les rebondissements inattendus, les différents caractères des compagnons d'Emie et la question de leurs motivations, ou encore les flashbacks parsemés à travers tout l'album révélant, petit à petit, ce qui s'est passé à bord du "Bristol" avant le naufrage, sont autant d'éléments qui y contribuent avec efficacité.

L'efficacité pourrait également être le maître mot du trait adopté ici par Gilles Mezzomo. Plus lâché que par le passé, il se distingue par un dynamisme assez remarquable, tout comme l'est sa science du cadre et de la mise en page. Globalement, le dessin s'inscrit ici dans la veine actuellement dominante dans ce genre de BD, tout en laissant apparaître des traces de l'assimilation du travail de "grands anciens" comme Giraud. On en regrettera d'autant plus une colorisation informatique qui n'est pas toujours très heureuse. Les différents personnages sont plutôt bien rendus : s'il n'est pas toujours facile de s'y retrouver et d'identifier qui est qui dans le petite troupe d'Emie, plusieurs se distinguent néanmoins et bénéficient d'une véritable présence, à commencer par la peu scrupuleuse mais très charismatique héroïne.

Avec ses soldats anglais, ses Indiens iroquois et ses aventuriers interlopes, ce Nouveau monde n'est ni la plus novatrice, ni la plus réussie des nombreuses œuvres ayant déjà exploité ce thème ; cependant, il est réalisé avec suffisamment d'habileté, et assez d'originalité à certains points de vue, par le duo Filippi / Mezzomo pour échapper au sentiment de la redite et du déjà vu, et faire attendre avec intérêt la continuation de son récit au-delà de ce premier album.