D
es longs couloirs du département de tachymétrie et de vérifications du ministère de l’ergonomie aux conclusions du laboratoire d’hystérèse sociale et de psychologie des masses, on peut faire confiance à l’humanité pour tracer le sillon de la prospérité. Pour les loisirs, les spécialistes vous proposent le seul et unique Féerique Parc des Perversions où chacun trouvera une distraction adaptée à ses goûts. De plus, on vient d’apprendre que le quartet de Sébastien Zorn y jouera ce-soir ! Elle n’est pas belle la vie ?
Dans Le plus mauvais groupe du monde, José Carlos Fernandes passe notre société à la moulinette. Plutôt que proposer une critique frontale, l’auteur portugais recrée double-pages après doubles-pages (le récit est formé d’une multitude d’anecdotes de deux planches) un monde où les excès et autres absurdités issues du consumérisme, du scientisme et autres nouvelles technologies sont considérées comme normales. Des chefs de départements aux noms impossibles racontent, avec toute la gravité des administrations, leurs projets improbables, le lecteur assiste à une compétition d’éloquence mathématique tandis que des amateurs de hi-fi ont tout logiquement fondé une loge des Chevaliers du Graal Sonique. La liste est sans fin, les très nombreux personnages se croisent et se recroisent. Le résultat, un album à la saveur du Brazil de Terry Gilliams et au ton rappelant les œuvres de Marc-Antoine Mathieu et Miguelanxo Prado.
Fernandes, malgré ses origines lusitaniennes, maîtrise à la perfection l’humour anglais. Tel un John Cleese déclamant les pires inepties tout en gardant un faciès de marbre, le dessinateur provoque l’hilarité en présentant posément et "logiquement" le pire, comme, par exemple, le programme l’école des hautes études en sophistique et dilettantisme (certainement l’alma mater de tous les politiciens de nos pays). Chacune de ses trouvailles fait mouche. D’un autre côté, il n’y a aucune volonté revendicatrice ou militante, au lecteur de se reconnaître et de rire de sa propre situation.
Graphiquement ainsi qu’au niveau de la construction, le travail de Fernandes peut rappeler Ben Katchor et son Julius Knipl. Le trait est particulièrement fin et très précis. La ville, totalement imaginaire, respire néanmoins l’authenticité tant ses rues, ses monuments et ses immeubles semblent réels. Le petit air de déjà vu qui ressort à la lecture de cette BD renforce encore plus le décalage du propos. Il serait injuste de ne pas saluer l’extraordinaire labeur qu’il a sans doute fallu à Dominique Nédellec pour traduire et adapter les multiples néologismes et autres pseudo-termes technico-scientifiques du texte.
Cette hilarante relecture du monde est chaudement recommandable.
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