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ourquoi les héros costumés sont-ils l’apanage du Nouveau Monde ? Pourquoi, non contents d’avoir déserté le Vieux Continent, n’y ont-ils laissé que peu de traces ? Qu’est-il advenu des personnages qui peuplaient jadis la littérature fantastique ? C’est pour apporter une réponse à ces questions que Serge Lehman et Fabrice Colin ont créé La brigade chimérique. À l’heure où paraît le sixième et dernier tome de cette série à la structure labyrinthique, force est de constater que cette réponse est d’autant plus crédible qu’elle fait écho à la véritable Histoire mondiale.
Du début à la fin, les scénaristes seront restés fidèles à leur credo qui consiste à épargner au lecteur de longues et fastidieuses présentations de personnages. Une telle démarche aurait même paru incongrue, tant ces héros, forts de leur notoriété, n’avaient à l’époque aucun besoin d’être présentés. Ils prennent donc le parti inverse et introduisent leurs acteurs tels quels ; ils leur laissent le soin de se dévoiler au travers de leurs actes et des souvenirs qu’ils évoquent au détour d’une conversation. Ils n’ont pas tous la même importance et certains n’apparaissent que très peu, mais aucun n’est vain. Au contraire, tous jouent un rôle dans les événements et contribuent à la constitution de cette toile de fond qu’est la superscience.
Si le thème des superpouvoirs est très commun aujourd’hui grâce à l’importation massive de comics qui font le bonheur des éditeurs américains, son intégration dans un contexte historique européen relève quant à elle d’une grande audace. Lehman et Colin sont parvenus à aborder de front deux des thèmes les plus éculés qui soit, à savoir les héros justiciers et la seconde guerre mondiale, en donnant l’impression de faire quelque chose de vraiment novateur. À mesure qu’ils multiplient les références, ils créent en parallèle un univers qui leur est propre, marqué par un style qui l’est tout autant. Ils procèdent ainsi par fragments, livrant les clés de compréhension au compte-gouttes jusqu’à un final tonitruant. Cette manière d’opérer, comme morcelée, exige du lecteur une attention constante, voire une relecture des six volumes d’affilée, mais le rétribue largement de ses efforts en lui proposant un récit parfaitement planifié dont l’apparent désordre cache en fait une structure et une préparation sans faille.
Passe-muraille, le Nyctalope, l’Accélérateur, l’Homme élastique, le docteur Mabuse… Qu’elles soient plus ou moins connues au départ, les différentes figures de cette saga chimérique paraissent familières une fois le dernier volume refermé, preuve s’il en est que les auteurs auront gagné leur pari. Il faut dire qu’ils leur ont donné une identité forte, à ces personnages qui bénéficient par ailleurs d’un dessin extrêmement carré, rigoureux. Accompagné de Céline Bessonneau aux couleurs, Gess réalise une prouesse semblable à celle de ses compères scénaristes en donnant à la série une marque unique en son genre alors même qu’il s’inscrit dans une tradition qui est presque devenue une norme outre-Atlantique. Il transcende ainsi le rôle de simple dessinateur pour se charger de la conception visuelle globale de la série et fait montre d’une grande variété de talents, entre excellent illustrateur semi-réaliste et cover artist très convaincant. Le mimétisme par rapport aux pratiques estampillées US, loin de desservir la série, renforce sa crédibilité tout en évitant le simple et vain exercice de style, trouvant d’ailleurs un réel prolongement dans le propos même de l’histoire et des personnages.
Brillant du début à la fin, audacieux dans sa thématique et sa construction, exigeant mais respectueux envers le lecteur, La brigade chimérique est peut-être l’une des meilleures surprises de ces dernières années. À découvrir de toute urgence, si ce n’est déjà fait.
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