D
ans la région du Malaskar, quelque part entre l’Alaska et la Sibérie, de grandes éruptions volcaniques souterraines ont provoqué le dégel du sol et mis à jour d'innombrables richesses naturelles : or, diamant, gaz, pétrole, etc. Attirés par l’appât du gain, les promoteurs et autres orpailleurs auront tôt fait d’investir les lieux pour fonder ce qu’ils estiment être la mégapole du futur, Klontown, du nom de William Klondike, initiateur du projet. Alors que ces vautours pensent pouvoir s’emparer sans peine de ces terres et de leurs ressources, ils devront faire face à deux problèmes de taille : d’une part les populations locales, peu enclines à se laisser déposséder de leurs territoires, et d’autre part une nature hostile qui ne se laisse pas facilement apprivoiser.
Entre Kraa, un aiglon appelé à devenir le maître de la vallée, et Yuma, un jeune autochtone aspirant à la vengeance, se tisse un lien particulier qui relève de l’art chamanique, une sorte d’osmose et de communication immédiate par la pensée. Ensemble, ils se dressent contre ceux qu’ils considèrent comme des envahisseurs.
Dans ce premier tome, Benoît Sokal use d'un phénomène naturel pour réinstaurer dans le XXe siècle un univers sauvage et désolé qui n’est pas sans rappeler le far-west du temps de la ruée vers l’or. D’un point de vue graphique, l’auteur n’a pas son pareil pour dépeindre des paysages à la fois vastes et oppressants sur lesquels la nature garde tous ses droits, sensation renforcée par une colorisation généralement sombre. Plaines désertiques, décors rocailleux et chutes d’eau vertigineuses se succèdent dans ce livre à la forte pagination pour offrir au lecteur des vues qui touchent au sublime et qui, teintées de brume, semblent receler un perpétuel danger. Dans ce cadre d’une beauté froide mais fascinante se déploient des hommes et des femmes dont la destinée semble irrémédiablement marquée par la cruauté et la violence. Les deux héros incarnent ainsi l’association de l’humain et de l’animal pour protéger la nature de la cupidité et de l’exploitation outrancière, laquelle s’effectue au mépris du respect dû à une terre jusque là préservée.
Ces considérations ne passent pas par un discours pompeux, mais par une grande et belle fraternité entre Kraa et Yuma. Nés pour tuer, ils usent des armes de leurs adversaires et ne reculent pas devant la violence qu’ils emploient allégrement. Les pensées de l’aigle, retranscrites dans un texte narratif qui, malgré un côté forcément empreint de surnaturel, apparaît comme parfaitement crédible, contribuent à faire de l’oiseau un personnage à part entière dont nous suivons les réflexions et comprenons les réflexes dictés par l’instinct de survie. Quant au jeune garçon, farouche et attaché aux traditions de son peuple, sa plongée dans un mode de vie à mille lieues de ses croyances le rend incroyablement attachant. Inévitablement, et sans que cela ne relève d’un quelconque manichéisme de la part de l’auteur, le lecteur prend fait et cause pour Yuma, dont les actes pourtant cruels semblent répondre à un besoin supérieur, et non à un intérêt bassement matériel.
Une seule conclusion vient à l’esprit après avoir refermé ce livre : Sokal, qui semble particulièrement impliqué dans cette histoire qui s’annonce comme une grande épopée, a mis beaucoup de soin à la réalisation de ce premier volume. En bref, Kraa signe le retour au premier plan d’un auteur qui, pour certaines de ses créations, pourrait compter parmi les plus grands.
Avis portant sur la série:
Je suis véritablement époustoufflé par ce que je viens de lire d'une qualité indéniable. C'est certainement par le biais d'une alchimie magique entre la richesse intérieure d'un auteur et les attentes inconscientes du public que le création devient succès. Nous ne y trompons pas : nous avons là un petit chef d'oeuvre avec un dessin à couper le souffle et un scénario de haute voltige à l'image de l'ombre de cette aigle royale qui protège à la fois son territoire et son petit frère humain.
Kraa, c'est un titre sobre et poétique, tout simplement sublime. Un pays imaginaire situé entre l'Alaska et la Sibérie, une vallée perdue où vivent les derniers représentants d'une civilisation ancestrale, l'arrivée de l'homme blanc poussé par la convoitise des richesses du sol : ceci semble être le cadre idéal pour une histoire incroyable dont le héros sera un petit indien fasciné par un aigle et capable de communiquer avec lui. D'ailleurs, il est étonnant de voir également que l'aigle est bien le narrateur de ce récit, une fois n'est pas coutume !
Sokal est véritablement au sommet de son art avec cet enchaînement de tableaux réalisés en couleurs directes mais modifiées informatiquement pour donner plus de puissance et d'éclat à ce western des temps modernes. On observera d'ailleurs le soin particulier qu'il apporte à l'aigle Kraa dont la présence irradie de chaque page comme un animal divin.
Le lecteur sera sans doute interpellé dans son for intérieur sur des thèmes comme la protection de la nature face à la course aux richesses au nom du progrès. Certes, il sera encore question de vengeance mais celle-ci semble légitime comme un dernier baroud d'honneur dans un combat perdu d'avance.
Kraa est sans conteste une de ces bds qu'il faut absolument lire et avoir dans sa collection. On suivra avec plaisir ce conte indien magique, parfois cruel mais jamais ennuyeux. Un futur indispensable !
C'est absolument magnifique. Sokal dépeint admirablement bien ce qu'on peut s'imaginer de la mentalité de l'oiseau sans tomber dans de l'anthropomorphisme primaire...
Le prénom du père de Yuma me fait d'ailleurs penser - est-ce un clin d'œil ? à ce film extraordinaire qui fait l'apologie de la "sobriété heureuse" et qui s'intitule "Derzou Ouzala", de Akira Kurosawa.
Avec Kraa, on est en plein dans ce thème de toute-puissance de la nature et de forces occultes que même l'homme moderne n'arrive pas à dominer.
Un must !!!
Non, je ne sais pas, je n'ai pas accroché, le scénario est un peu trop basique, trop déjà-vu et les dessins sont trop ternes, trop semblables (et il est vrai que les chevaux ont un sacré problème).
Attendons la suite....
Alors là, on est bien loin du déglingué Canardo: les animaux ne parlent plus!Mais l'aigle pense... et on est parfois dans sa tête, par l'intermédiaire d'un jeune indien un peu sorcier sur les bords.
franchement?
Bien!
Très bien même. De très bons dessins, même si les chevaux me paraissent avoir un léger problème de pates postérieures (je ne suis pas un spécialiste...).
Quand à l'histoire elle est bien mise en place sur ce premier tome, si bien qu'on arrive à la fin en espérant que la suite arrivera très très vite!
Je recommande...