L
ouis Levasseur vit dans un appartement vide, à l’instar de son inspiration. Au détour d’une rue, un chien l’importune, joue et déchire un sac poubelle empli de modes d’emploi et d'un journal intime. Un ramassis de lieux-communs, pense-t-il. Mais lorsqu’on est un écrivain sans publication depuis plusieurs années et sans succès aucun, on est prêt à fouiller les ordures pour trouver quelques bribes d’imagination. L’instinct de Louis ne le trompe pas : Léa, la jeune narratrice du journal raconte son quotidien de femme d’intérieur en proie à l’incapacité d’utiliser un appareil électroménager. Un comble ! Et un succès pour Louis qui en tire un roman et fait fortune. Pourtant, Léa le hante : qui est-elle vraiment ? Que lui est-il arrivé après qu’elle a quitté mari et appartement ? La rencontrera-t-il un jour, au détour d’une dédicace ?
Léa ne se souvient pas comment fonctionne l’aspirateur pourrait apparaître comme un conte des temps modernes, avec un brin de magie et de mystère sur un quotidien trivial. Pourtant, le déroulement du récit n’entraîne jamais le lecteur dans une quelconque morale, ni vers la facilité, mais plutôt au fil de la vie de Louis, de la misère intellectuelle à la jouissance matériel, le tout hanté par la présence/absence de Léa et de son mal. La parole de l’un et l’autre des protagonistes est présente tour à tour, comme si la détresse de la jeune femme répondait à l’ascension de l’écrivain, et vice versa.
Là où le nom d’un grand scénariste peut laisser supposer un récit de qualité, il faut apprécier encore davantage d’avoir sous les yeux des textes tout simplement bien écrits. L’histoire tient le spectateur, non pas en suspens, mais en intrigue, stimule l’envie de comprendre ce qui arrive à Léa. Chaque case ravive le plaisir de lecture tant les dialogues et les voix-offs profitent du talent d’écriture d’Eric Corbeyran.
La collaboration avec Gwangjo, auteur sud-coréen, donne à la confection de cet album une architecture particulière, sensiblement différente de la tradition franco-belge. Le rythme du récit, tantôt dans le présent, tantôt dans le passé, doté d'une narration qui lie l'ensemble sans jamais perdre le lecteur, rappelle une construction cinématographique, où l’on peut facilement reprendre des images déjà vues pour rappeler un fait. Il n’est pas fréquent d’utiliser ce procédé en bande dessinée. Gwangjo et Corbeyran ont parfaitement construit leur histoire.
Le faux classicisme du dessin de Gwangjo étonne également. Une fois de plus, la virtuosité technique des auteurs asiatiques subjugue, virtuoses dans leur coup de crayon et sachant également travertir complètement leur dessin pour livrer une émotion différente, ce qui n'est pas sans faire écho avec le travail du mangaka Shinzawa, maître de la caricature de ses personnages (Le collège fou fou fou). L’inventivité est toujours au rendez-vous, lorsque Louis propose, par exemple, de payer la concierge pour qu’elle lui ouvre l’ancien appartement de Léa. Gwandjo représente, au bas de la case montrant Louis et le billet, une caricature de la gardienne, des dollars à la place des yeux. Outre la drôlerie de l’ensemble, cette case montre l’étonnante dextérité du dessinateur capable de réunir, plusieurs styles et plusieurs plans harmonieusement.
Il est cependant regrettable que, parfois certains plans frisent l’exercice d’art graphique, mais l’ensemble est plus que maîtrisé, inventif, à la fois classique et décomplexé.
L’album, assez mélancolique, ne donne certes pas le sourire à la fermeture du livre, mais la satisfaction d’avoir lu une bonne bande dessinée.
Waoh ! Enfin un roman graphique qui se distingue des autres par son originalité et sa maturité d'écriture. Et pourtant le titre ne m'avait guère inspiré. A y réfléchir de près, on se demande pourquoi Léa ne se souvient pas comment fonctionne l'aspirateur ?
Elle vient de se marier et doit s'occuper aussi bien de l'intérieur que de son mari. C'est plutôt génant quand on se rend compte que c'est bien l'ensemble des appareils électro-ménagers qu'elle ne sait plus faire fonctionner. Cela commence par la cafetière électrique le matin et le grille-pain pour les biscottes. Tout ceci va conduire à un futur divorce programmé avec les reproches de son mari...
C'est alors qu'intervient un écrivain en mal d'inspiration. Il va se servir d'un journal intime foutu à la poubelle pour bâtir son idée de nouveau roman qui connaîtra un succès escompté.
Derrière ce titre naïf, se cache un véritable drame psychologique qui va nous tenir en haleine jusqu'au bout. Le dessin réaliste tout en crayonné crée une belle ambiance à travers le regard subjectif de cet écrivain à qui rien ne réussissait. Léa va changer sa vie et lui apporter la notoriété dont il rêvait. Cela va devenir au fil des années son obsession secrète.
Mais quelle est donc cette pathologie psychique ? Cette bd nous entraînera vers un drame intimiste poignant dont la conclusion sera magistrale. Je ne vais pas en dire plus. A vous de découvrir Léa et de percer le mystère de son blocage devant les appareils électro ménagers.
Note Dessin: 4/5 - Note Scénario: 4/5 - Note Globale: 4/5
Voilà une bien curieuse façon que cette femme a trouvé pour échapper à la vie. Une BD sombre, à l'image du coeur de la jeune femme, qui me laisse un sentiment gênant. Bon c'est vrai que l'être humain n'a pas fini de nous surprendre, et c'est sans jugement que l'auteur nous laisse à notre ressenti. Par contre les dessins de Gwangjo sont magnifiques ; quel plaisir de voir avec quelle grâce et réalisme certains manient le crayon noir ; des maîtres.