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rès de vingt ans après sa première parution, Je ne t’ai jamais aimé conserve tout son pouvoir d’évocation. Chester Brown y décortique avec une légèreté et une très grande précision cette étrange période s’étalant de la fin de l’âge de l'innocence aux débuts des troubles de l’adolescence.
Sous un aspect apparemment très simple, l’auteur de Louis Riel réussit à montrer brillamment le tourment émotionnel dans lequel il a baigné durant sa jeunesse. Le passage de la bulle protectrice de l’enfance au chaos de la vie adulte n’est pas des plus aisés. La famille, les amis – les amies surtout -, tous ces pantins prennent forme et se révèlent être des personnes à part entière. Comment affronter ce nouveau monde, quand, soi-même, on devient également un étranger ? Le récit peut sembler froid et même cruel par moment, tant le jeune Chester reste aveugle à ce qui se passe autour de lui. Sans jamais tomber dans la facilité - comme dans Le Playboy où il ne s’épargne pas - l’auteur plonge dans ses souvenirs pour reconstruire et, sans doute, mieux comprendre, cet apprentissage de la vie. Évidemment très personnelle, cette chronique ne serait qu’une BD autobiographique de plus si le dessinateur n’avait pas réussi la gageure, grâce à la précision de ses observations, de rendre sa narration quasiment universelle. Tout lecteur, à un moment ou un autre du récit, se reconnaitra dans un des personnages.
Quasi mise en abîme de l’existence, Je ne t’ai jamais aimé, est un ouvrage rare, qui a montré la voie à une génération d’artistes comme Debbie Drechsler (The Summer Of Love) et Craig Thompson (Blankets).
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