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ssex County, Ontario, Canada. La plaine, une ferme, une famille, deux frères plus précisément, une traversée du XXème siècle. Au-delà de l’admirable étude humaine, Jeff Lemire raconte, à sa façon, un pan de l’âme canadienne.
Première BD majeure de l’auteur, Essex County brille autant sur le plan graphique que celui du scénario. Ce titre, salué par plusieurs prix en Amérique du Nord, a, malgré un très fort ancrage régional, rencontré un très beau succès en librairie. Son talent révélé, Jeff Lemire est désormais publié au sein de la collection Vertigo de DC Comics (The Nobody, Sweet Tooth).
Essex County, du fait de sa richesse scénaristique, est délicat à résumer. L’auteur se délecte à fausser les pistes en déposant, ici et là, des petits détails apparemment incongrus sur le moment. Puis, peu à peu, les différentes pièces de ce puzzle narratif, prennent forme et finissent par former une fresque parfaitement cohérente. Le lecteur découvre en compagnie de Lester, un gamin d’une dizaine d’année, ce territoire du sud-ouest ontarien. Comme dans beaucoup de régions rurales, les habitants et les distractions se font rares. Pour échapper à sa triste réalité – orphelin, il a été placé chez un oncle célibataire – l’enfant développe son propre monde, fait, Amérique du Nord oblige, de super-héros et autres envahisseurs de l’espace. Il se lie également d’amitié avec Jimmy Lebeuf, un ex-hockeyeur passablement endommagé. Cette relation n’est pas du goût de son tuteur, apparemment un lourd passé semble lier les deux hommes. Le récit prend alors une toute autre ampleur : amour, trahison, remords, rancœurs, exode rural et appel de la ville. L’ensemble est raconté sur fond de grands espaces et de hockey sur glace. Pas de doute, l’histoire se passe bien au Canada !
Les retours en arrières sont innombrables. Au fil des chapitres, les personnages vieillissent, revisitent à plusieurs reprises leur passé, se croisent et se recroisent. Lemire réalise néanmoins un travail extraordinaire. La construction narrative, très importante pour une gestion logique des flashbacks, est savante et très précise. Les transitions entre les différentes époques, souvent déclenchées par le plus petit rien (un regard, un paysage), sont amenées avec une élégance rare. Si, par moment, le lecteur peut se sentir perdu par tant de variations, c’est seulement parce que les héros le sont également, tant ils sont submergés par leurs émotions. Le dessin est également à la hauteur de l’histoire. À l’instar du caractère des personnages, le trait est brut, taillé à la hache. Ce qui n'empêche aucunement les doutes et les interrogations des protagonistes d'être livrés avec beaucoup de précision.Lemire, dont le style est déjà parfaitement en place, réussit à retranscrire le moindre trouble de l’âme.
Essex County est un album d’une très grande tenue et d’une richesse impressionnante. Un auteur à découvrir absolument.
À lire également :
Le site internet de Jeff Lemire (en anglais)
La chronique de Monsieur Personne par D. Lemétayer
On se demande parfois comment, malgré les avis dithyrambique de l'époque, on peut passer à coté de telles perles.
Ne cherchez pas l'histoire, l'auteur a décidé de ne pas en raconter. Il a plutôt choisi de raconter des vies !
En découle un album au rythme ralenti, centré sur les émotions, dépouillé de toutes futilités, qui nous fait ressentir le poids du passé, le poids de la vie elle même.
Un album formidable !
Une très jolie chronique familiale et locale habilement raconté façon "short cuts" ou puzzle. Une histoire douce et amère et la vie ordinaire des canadiens (côté anglo-saxon), comme Rabaté ou Davodeau savent si bien faire en France. Içi, point de super héros, tout au plus quelques hockeyeurs ratés, mais des personnages malmenés par leur quotidien, imparfaits et donc attachants, le tout servi par un joli dessin en N&B et le plein d'une poésie au sirop d'érable...tout à fait recommandable donc...
De la haute voltige...Trois albums réunis en un, racontant l'histoire de plusieurs protagonistes sur un siècle. Le scénario est génial, le fil conducteur me se perd pas dans l'inutile même si parfois on se demande où tout cela mène. L'auteur décortique quelques vies toutes reliées avec une analyse profonde et humaine.
La meilleure découverte pour moi cette année. À se procurer et garder comme objet de collection car il est certain qu'on voudra la relire à toutes les années.
Beau travail!