I
l était une fois un monde rétro-futuriste où différentes civilisations tentaient de cohabiter au sein de la « Communauté universelle ». Elijah était chargé de résoudre les différends inter-espèces, le plus souvent dus à des malentendus liés à une méconnaissance des habitudes de l’Autre. L’éminent exo-psychologue de la police philosophique était à l’image de la société dans laquelle il évoluait. Sobre, lisse, transparent. En un mot : convenable. Il était doté de la politesse des diplomates, celle de ceux qui se sont exercés à la pratique des bons offices, à celle de l’échange cordial. Sa formation l’avait rendu apte à exprimer sa reconnaissance à autrui, à le traiter comme une entité ayant des sentiments et ce, peu importe sa planète, son mode de communication ou son apparence. D’une efficacité toute fonctionnelle, Elijah excellait à cette communication protocolaire, très en surface, qui permettait aux peuples et races de coexister, de se tolérer à défaut de s’accepter véritablement. Il s’était, de fait, imposé comme un expert galactique en gestion de l’altérité.
C’est du moins ce qu’il croyait jusqu’à ce que ses certitudes volent en éclat. Jusqu’à ce qu’un conflit mettant en péril l’équilibre de l’univers éclate entre les Ganédons et les Alephs 345. Jusqu’à ce que son meilleur ami mette fin à ses jours, en renonçant à transférer sa mémoire dans des corps clones lui conférant une quasi-immortalité.
Dans un univers où la mort n’existe plus, pourquoi tant vouloir renoncer à la vie ? À croire que l’ancienne dialectique – celle du corps et de l’âme – n’était pas résolue. Le temps de la machine faisant corps semblait pourtant révolu. À l’inverse, le corps s'était fait machine, support duplicable, interchangeable, quand la mémoire était reproductible à loisir. Il n’y avait dès lors plus lieu de s’appesantir sur la question de l’incarnation, l’âme n’avait plus à se soucier de se faire chair. Pour autant, le prix de la longévité signifiait le sacrifice consenti de la mémoire, au risque d’un appauvrissement de l’être, de la disparition des émotions liées au souvenir. Il n'en restait que cette impression clinique d'une rémanence, la survivance d’une sensation stockée dans une mémoire morte malgré la disparition de ce qui l’avait provoquée. Le libre arbitre était sans doute préservé mais subsistait la conscience – provisoire – d’avoir perdu l’essentiel, jusqu'à ce que l'interrogation en devienne obsédante : l'amitié, le désir, qu’en reste-il au fil des années, si ce n’est des souvenirs partagés, désormais menacés de péremption ? Et ce « Je », hérité d’un passé morcelé, qu’en reste-t-il à mesure que le temps passe ? « Je est un autre », écrivait Rimbaud. La fable sur l’altérité de se faire réflexive et le thème du double, façon doppelgänger, de se ramener à une seule question : celle d’une humanité qui s’interroge sur les conditions qui la définissent comme telle.
Pour Elijah, le suicide de l’ami de toujours et la tentative de pénétrer la conscience des Alephs vont procéder d’un même cheminement, et l’introspection analytique, à fouiller les plaies de ses angoisses, va se faire recherche de l’essence de l’être. Une quête ontologique qui conditionne aussi la réussite de la mission de conciliation. Comment comprendre l’autre si l’on peine soi-même à se reconnaître ?
Elijah privilégiait jusque là une diplomatie de surplomb, déduite de la raison, de la coexistence pacifique, des vertiges et des illusions de l’analogie. Pourtant, sa démarche, fondée sur la reconnaissance des différences, devait tragiquement échouer devant l’incapacité à entamer le dialogue comme à résoudre un conflit opposant à la raison des vérités révélées. D’où cette autre piste, suggérée par la double métaphore de l’engloutissement et de la sphère partagée entre deux civilisations antagonistes : ici, la planète où s’affrontent les Alephs et les Ganédons. À parcourir la surface de la sphère ou l’étendue de la galaxie, le policier philosophe ne faisait en réalité que du syncrétisme. Mais c’est en s’approfondissant dans son passé, en renonçant à son futur, qu’il parvient à dépasser les limites de sa langue, à renouer avec ce qu’il est et communiquer avec l’autre pour enfin le comprendre. Pour aller vers le fondamental, il réussit, en quelque sorte, à raccourcir la distance aux autres – à condition qu’ils empruntent le même chemin – dans la dimension de la profondeur quand, à la surface, la distance était immense. En s’enfonçant dans les eaux, en renonçant à la promesse d’un infini (qui serait en réalité celui d’un autre lui-même), Elijah trouve la source d’où jaillit le sens, "l’intelligibilité qui pénètre et illumine" l’existence humaine.
Avec ces Derniers jours d'un immortel, Fabien Vehlmann compose un touchant récit de science-fiction à hauteur d'homme, un conte philosophique intemporel, porté par la beauté simple et l'aisance du dessin au lavis de Gwen de Bonneval. Brillant.
Attention, chef d’œuvre. J’ai rarement lu une BD de SF aussi foisonnante de bonnes idées et en même temps aussi propice à l’introspection.
Ce récit de science-fiction a des allures d’OVNI, en premier lieu à cause des premières pages tiennent plus du puzzle dont le lecteur va devoir assembler les morceaux pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette mystérieuse intrigue, où l’on voit un diplomate humain se balader à travers la galaxie pour tenter de dénouer des conflits entre espèces. En d’autres termes, on ne rentre pas si facilement dans le récit, à l’introduction un peu longuette, une caractéristique pas si gênante quand on en ressort pleinement satisfait. L’histoire finit par captiver, cela va sans dire, et de façon étourdissante même, si bien que des retours en arrière seront peut-être nécessaires. Outre l’immortalité, qui reste le sujet principal du livre, Vehlmann profite du genre SF pour explorer une multitude de thèmes.
Tout d’abord, par le biais de la vie extra-terrestre, c’est la question de l’altérité et de la difficulté de communiquer avec des êtres aux codes de communication très éloignés de l’humain qui est posée, et nous ramène à nos caractéristiques si si terriennes : absences d’empathie souvent doublées d’orgueil ou d’arrogance, besoin d’avoir raison sans écouter l’autre. On trouve également d’autres sujets, en lien avec le transhumanisme et la biotechnologie, dont fait d’ailleurs partie l’immortalité, tels que la transmigration de l’esprit humain (que certains scientifiques de la Silicon Valley considèrent ni plus ni moins comme un système d’exploitation informatique), le clonage de soi-même en plusieurs exemplaires, contenant chacun un bout de sa propre mémoire. Plus politique est le thème de la précognition (bien développée dans le film « Minority Report »), de la culpabilité et de la responsabilité juridique des témoins et même des victimes ( !). Le récit donne également lieu à divers questionnements philosophiques sur la satisfaction des désirs, le deuil, l’amitié ou la réalité de sa propre existence, entre autres…
Bref, les nombreuses questions abordées sont véritablement passionnantes, et c’est peut-être de là que vient le problème. A trop vouloir en dire, Fabien Vehlman ne fait finalement qu’effleurer ses sujets, tandis que la narration souffre d’un manque flagrant d’ossature, avec mille histoires dans l’histoire, ce qui donne un côté foutraque à l’ensemble, lesté qui est plus d’anecdotes parfois incongrues, parfois déconcertantes… Si le format était trop restreint, peut-être aurait-il été plus judicieux d’en faire une série… Quant au dessin noir et blanc de Bonneval, il s’efforce d’être stylé et original, et y parvient parfois, mais reste un peu sec et inabouti dans son minimalisme un brin paresseux.
« Les Derniers jours d’un immortel » ont quelques défauts qui rappellent un peu ceux de « Polaris ou la nuit de Circé », et l’on s’étonne d’un tel constat quand on a aimé « Satanie » et « Jolies Ténèbres » (de Vehmann et Kerascouët), ou encore « Les Racontars arctiques » (de Bonneval et Tanquerelle), sans parler du « Dernier Atlas », à tel point qu’on se demande si l’objet a été produit par les mêmes auteurs. C’est une vague impression de gâchis qui subsiste, et clairement, le récit péche par son scénario. Ce qui est un peu dommage pour un livre qui parle d’incommunicabilité, et qui avait beaucoup d’atouts pour s’imposer comme une œuvre culte.
C'est une oeuvre fortement originale que voilà. J'ai retrouvé un mélange de science-fiction et de conte philosophique. C'est en tout cas une approche intéressante du genre.
J'ai regretté le choix d'un dessin assez dépouillé et trop simple même si j'aime le trait de Gwenn de Bonneval. Le scénario de Vehlmann est par opposition très dense.
Les auteurs ont tout de même sû donner une crédibilité à cet univers. Cela m'a fait penser un peu à la série Orbital par certain côté avec un héros dans le rôle d'un sage diplomate spécialisé dans les missions difficiles. Cependant, ici, on va plus loin dans la réflexion.
On ne peut que féliciter les auteurs par tant de créativité. Il y a pourtant un côté figé dans le dessin qui a du mal à passer. Le découpage des scènes n'est pas évident de premier abord. Il faut se concentrer pour comprendre les codes qui composent cet univers. Sans doute, un one shot ne se prêtait pas à ce genre d'exercice.
La lecture demeure tout de même souhaitable pour avoir une autre version des extra-terrestres qui n'ont pas forcément les mêmes conceptions que nous autres les humains.
Une rareté dans le monde actuel de la SF qui se répand trop facilement dans le sensationnel et l'action bon marché.
Pour une fois, nous vivons le futur comme une pure réalité, une confédération galactique utopique où (hélas) l'être humain, dans sa grande sagesse (?!?), résout et prévient les conflits découlant de l'incompréhension culturelle des peuples entre eux.
Une approche très philosophique et existentialiste des rapports des extraterrestres où la violence perd sa signification au profit de nouvelles connaissances.
Le dessin est simple et clair, l'histoire limpide, un très bon moment de lecture en prévision.
Voici un album de cent cinquante pages qui se laisse apprivoiser facilement. L’intrigue est captivante, la narration fluide. Le dessin contemplatif de Gwen De Bonneval sert parfaitement cet univers intrigant et sensible de Fabien Vehlmann. Sans bouleverser complètement le genre, les auteurs créent un environnement tendre et tragique.
Vous l'aurez compris, nous avons ici, de la Science-Fiction pleine d'émotion !
Vaste sujet que celui de l'immortalité.
Les auteurs aborderont de manière un peu mélancolique les thèmes de la mémoire, de l'identité mais aussi de la sexualité. Où les questions de l’autre, de l’identité individuelle, et du plaisir, restent et resteront fondamentales !
Toute l’intelligence du scénario de Fabien Vehlmann est d’explorer des questions comme : Peut-on tuer un immortel ? Peut-on vouloir ne jamais mourir ? Quelles sont les relations entre individus quand le corps n’est plus l’élément identitaire fondamental ? Comment aime-t-on alors ? Peut-on aimer ? Peut-on vouloir des enfants ? De quoi se souvient-on ? Peut-on avoir encore des amis ?
Toute la force et le choix graphique de Gwen de Bonneval est d'accompagner le questionnement par de la sobriété, de la profondeur, de la douceur.
Bienvenue dans un futur utopique intelligent !
Dans un monde interplanétaire sans limites, ou tous les peuples se côtoient où la mort n'est que choix, les hommes sont devenus immortels, et être à plusieurs endroit en même temps devient possible grâce à la génération d’écho corporel réel. Fabien Vehlmann, nous fait accompagner Elijah, enquêteur, diplomate et philosophe, pour lequel une enquête ne se résout pas sur de simples faits, tel est le mode opératoire de ce monde pour résoudre les tensions entre deux peuples que les coutumes opposent et dont Elijah devra y mettre un terme. Fabien Vehlmann, ne s'arrête pas à une simple enquête mais va bien plus loin en explorant les méandres psychique d'Elijah, un immortel, qui du fait d’un emploi du temps plus que chargé prendra une décision radicale pour la suite de sa vie. Le scenario s’accompagne du dessin de Gwen de Bonneval, dépouillé et foisonnant qui suffit a l’histoire. Brillant !
L'histoire se situe sur Terre ou ailleurs, avec des humains et des bestioles toutes plus étranges les unes que les autres, et une notion du temps et de l'espace très relative.
Le héros est une sorte de diplomate interprète spécialisé dans les missions foireuses ; missions dans lesquelles il excelle.
La ligne dépouillée de de Bonneval sert admirablement bien le scénario touffu de Vehlman. Il faut parfois s'accrocher pour savoir où on est, qui on regarde (car les personnages principaux ont des doubles - les échos -). Enfin... ptète que j'étais un peu fatigué quand j'ai commencé la BD !
En tout cas, cet album est très rafraîchissant dans la production actuelle pour adultes, dans laquelle fleurissent beaucoup d'histoires introspectives prises de tête. Là, on a une vraie créativité, inspirée par les grandes théories de la science-fiction des année 1950.
Une bonne surprise. A découvrir.
Deuxième avis à la hausse car plus on lit cette bd plus on l'apprécie.
Et pour signaler qu'elle a obtenu de le prix de la meilleure bd 2010 au festival sciences-fiction Les Utopiales à Nantes.
Un récit philosophique sur l'immortalité et la différence dans un monde futuriste où le policier diplomate doit régler les conflits entre les peuples.
Mais le personnage ne sortira pas indemne de cette confrontation avec la différence et remettra en cause sa conception de l'immortalité.
Il faut prendre le temps de rentrer dans cette histoire bien menée où on ne s'ennuie pas à suivre l'enquête et la vie du héros et de ses clones. Et les dessins style lavis s'accordent bien à l'ambiance de ce monde un peu désincarné.
Très bon.