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u début des années quatre-vingt dix, Lewis Trondheim, déjà scénariste, fanzineux et co-fondateur de l’Association, décide qu’il lui faut désormais apprendre à dessiner. Pour ce faire, il composera rien de moins qu’un imposant ouvrage de près de cinq cents pages. C’est ainsi qu’en 1992 paraissait Lapinot et les carottes de Patagonie à l’Association. Véritable travail de déconstruction des clichés de la littérature dessinée, l’exercice est impressionnant. Il permit surtout à Lewis d’apprendre à se passer des codes du médium pour mieux les détourner, d’affûter sa maîtrise du style et du découpage, et de définitivement s’imposer comme un libre penseur en images. L’histoire est connue, le concept sera par la suite décliné chez Dargaud, dans la collection Poisson Pilote, en une série d’albums mêlant tranches de vie et à l’étude de mœurs d’un groupe de trentenaires, ainsi que diverses incursions dans la bande dessinée de genre (hommage parodique à l’école de Marcinelle, récit fantastique, western ou romance à l’anglaise).
Quelles que soient les aventures, les histoires captivent. Tracas quotidiens, catastrophes, Trondheim tire des plus anecdotiques détails des pépites de drôlerie et de lucidité. Mais au-delà de l’autodérision salutaire, de l’humour au vitriol, il développe surtout une réflexion sur la fragilité de l’existence et l’absurdité de la vie. D’où des personnages inadaptés, en suspension, comme sur le fil, souvent empreints de lâcheté ou de mauvaise foi. De fait, à y regarder de près, la bande de copains paraît se diviser selon deux archétypes classiques : épicuriens et stoïciens. Il y a ceux qui assument (ou qui s’en moquent) et optent pour la légèreté. Richard est de ceux-là : sûr de son fait, de son charme, un rien pique-assiette et je-m’en-foutiste. De même, à toutes les formes de questionnement existentiel, Félix et Patrick préfèrent les œillères de leurs interminables affrontements vidéo-ludiques. De l’autre côté, il y a Vincent dont les troubles obsessionnels compulsifs – qui semblent d'ailleurs s’être aggravés – ne font qu’exprimer tout l’effroi que lui inspire le monde. Il y avait surtout le fatalisme raisonneur – un rien fleur bleue – de Lapinot, sa timidité, sa réserve et des pieds taille 88. Enfin, tout cela, c’était il y a six ans, avant l’intervention funeste d’un « putain » de capot et d’une Cassandre de mauvais augure.
Désormais, il n’y aurait plus que des formidables aventures « sans ». Enième gag, ultime révérence, blues général. Chez des lecteurs mélancoliques, tout du moins. Lewis, quant à lui, ne semble pas particulièrement chamboulé par le sacrifice de la créature par laquelle il était venu à la bande dessinée. Pas plus que Félix, Patrick ou Richard, d’ailleurs. Ce qui les mine, c’est plutôt les filles, enfin, leur absence... Quitte à se ruiner le week-end, autant le faire en beauté ! Les voici, flanqués de Vincent, pariant cinq mille euros à celui qui ramènera l’âme sœur. Les cartes sont évidemment faussées, Richard, déjà maqué, jouant double jeu. La foudre s’en mêle, la virée s’annonce électrique. Les péripéties et les retournements de situation se succèdent, de même que les clins d’œil aux albums passés : poilade garantie dans le métro et, dans une boîte people, remake façon Boum Boum de l’épisode Cloclo ‘Tout le monde, les bras en l’air’ François dans Slaloms. Trondheim est de retour aux affaires, il a de nouveau de la verve, le ton est incisif, moqueur, et la mélancolie de passer à l’arrière-plan. Fi de la gravité et de l’amertume des derniers albums ! Encore que les dernières planches de La vie comme elle vient donnaient déjà le ton. La vie continue ! Carpe Diem ! Et si, contre tous les pisse-froids, les trop sérieux lagomorphes et les allergiques sermonneurs, c’était finalement Richard, l’épicurien, qui avait tout compris ?
A lire aussi :
» La chronique de La vie comme elle vient, huitième tome des formidables aventures de Lapinot, par L. Cirade.
Le meilleur des "sans Lapinot" pour moi ! Déjà, l'album correspond à une histoire entière (et non plus à une succession de gags en une planche comme dans les tomes précédents), ce que je préfère. Et puis, comme dans les meilleurs albums de LAPINOT, Trondheim distille un élément fantastique dans le scénario qui rend l'histoire totalement improbable, et donc marrante (ici, Richard, atteint par la foudre, devient absolument irrésistible pour quiconque rentre en contact physique avec lui ... autant dire que l'histoire va très vite déraper !).
C'est amusant, joliment dessiné, il y a des retournements de situations et les réparties sont drôles ... bref, un très chouette album !
Enfin!! Un bon album de Lapinot sans Lapinot! On a une véritable histoire propre au monde de Lapinot, ce n'est plus juste un regard humoristique sur le vrai monde.
J'ai beaucoup aimé cette histoire! Richard, Patrick et Félix misent 5 mille euros chacun pour savoir qui sera capable de ne plus être célibataire à la fin du week-end. Comme mentionné par Cellophane, toute l'histoire aurait pu tenir avec ça. Mais Trondheim rajoute un élément surnaturel de plus, celui où tous ceux qui touchent Richard deviennent complètement fous de lui.
Le scénario est bien écrit, avec de bonnes répliques, et l'histoire est drôle. On a l'impression de lire un Trondheim qui est en forme. On ne s'ennuie pas une seconde et on se demande où tout ça va mener. Par contre, j'aurais préféré que ça se termine différemment, pas avec cette histoire de présidents...
Le meilleur des Lapinot sans Lapinot, et un bon Lapinot tout court!
Il y a deux idées de bases qui sont intéressantes et amusantes, même si la première est moins traitée que la seconde…
La première, c’est ce pari de se trouver une copine en un week-end. Rien qu’avec ça, Trondheim aurait pu tenir un album. Il est d’ailleurs bien parti puisque les rencontres tiennent la première moitié de l’album.
Et puis d’un coup, cette idée passe au second plan pour une autre, qui aurait elle aussi pu tenir un album complet : le coup de foudre que provoque Richard quand on le touche…
Cette seconde idée commence en douceur et se développe tranquillement jusqu’au délire total.
Hélas, si j’ai été assez emballé par l’album (même si je n’ai pas bien saisi l’intérêt de cette histoire de pari qui disparaît au fur et à mesure), j’ai été déçu par la chute « hop et pis voilà ».
Dommage parce que j’étais bien emmené…
On ne peut être que ravis que Trondheim, qui nous a enchanté pendant des années avec son merveilleux Lapinot, avant de l'éliminer sauvagement (un jour de déprime certainement) revienne à la BD "grand public" après une large parenthèse quasiment purement "indie". Le défi est néanmoins majeur : ni plus ni moins que ressusciter le "style Lapinot" sans Lapinot, autour de sa vieille bande de copains, désormais "conduits" par Richard ! On retrouve donc dans "Top Ouf" (mauvais titre…) l'essence de ce qu'on aimait chez Lapinot, cette vision douce amère des rapports humains et d'une vie quotidienne passablement déprimante, illuminée par un humour un peu absurde, et surtout une ou deux trouvailles "magiques", voir "fantastiques"… Sauf que "Top Ouf" fonctionne nettement moins bien, et se révèle moins drôle, moins poétique, moins touchant, moins délirant… mis à part dans sa toute dernière partie, parfaitement réjouissante (la scène de la boîte de nuit constitue un véritable "triomphe" de la manière Trondheim), et qui nous donne quand même l'espoir que la suite de ces "Formidables Aventures SANS Lapinot" retrouvent complètement la folle classe du passé. Reste que, et on le sait… "un être vous manque, et tout est dépeuplé"…
chronique parue ici : http://hulkestmort.canalblog.com
Après 6 ans d'absence, Lewis Trondheim revient sur sa série phare Lapinot, mais sans le principal intéressé. Lapinot n'est plus, mais ses amis sont toujours là. Et ils se lancent un défi : ils ont le week-end pour se trouver une copine, sous peine de perdre 5000 euros. Richard, Félix, Patrick et Vincent vont ainsi devoir faire des pieds et des mains pour ne pas perdre leur argent, mais il semble y avoir comme une anguille sous roche...
C'est avec le plus grand plaisir qu'on reprend contact avec cette attachante bande de potes. Et pourtant je n'ai pas pu m'empêcher d'être légèrement déçu. Et j'ai le sentiment que ça vient en partit des personnages. Tout d'abord l'absence de Lapinot dont les dialogues rationnels, moraux et fatalistes manquent comme contre-poids à ceux des autres protagonistes. Ensuite Richard, le génial Richard qui faisait toute la saveur de la série, est ici comme anesthésié, moins drôle, moins épicurien, plus réfléchit, plus mûr, et là on perd une véritable pépite. Félix et Patrick sont quant à eux assez fades, mais ça change pas vraiment d'avant (quoi que Félix était quand même assez marrant comme double de Richard). Reste néanmoins Vincent, obsessionnel compulsif des microbes et des bactéries, assez amusant dans sa froideur et son comportement anormal, mais dont le ressort comique peut devenir parfois assez répétitif. Au niveau du scénario lui-même ça m'a également semblé moins bon, les scènes n'ont plus vraiment cette saveur qu'elles avaient avant, ça s'enchaîne peut-être de façon trop logique, je n'sais pas. En tout cas on rit moins, il y a toujours des gags amusants mais ça m'a semblé moins drôle que les autres tomes.
Au final un album agréable à lire comme sait les faire Trondheim, mais plutôt faible comparé aux autres tomes de la série. Est-ce dû à l'absence combinée du Richard habituel et de Lapinot? du manque de personnages secondaires consistants? ou bien est-ce tout simplement Trondheim qui a perdu un peu de la magie de Lapinot, qui n'arrive plus à autant nous amuser qu'avant, à nous rendre les personnages attachants et leurs tranches de vie prenantes? aucune idée, mais ce Top Ouf donne en tout cas une impression de trop peu, en plus d'avoir un mauvais titre et une couverture assez ratée. Reste néanmoins des passages plutôt marrants et une fin assez émouvante.