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Cœur de papier 1. Le Salon

05/03/2010 7010 visiteurs 7.0/10 (1 note)

O rphelin à onze ans, Kriss (Crystal) Bottomwine est placé dans un pensionnat peu engageant et entouré de ronces, la "Maison de la Nuit", où il est accueilli par Rosamelia. Celle-ci lui explique tout de suite que seules quelques pièces sont accessibles et qu’il est interdit de monter au premier étage, puis elle lui présente les deux autres pensionnaires, Shua et Mortimer. Kriss s’aperçoit vite que la demeure et le jardin grouillent de créatures répugnantes, et qu’une présence invisible semble les surveiller, tandis que ses rêves prennent d’étranges tournures. Intrigué, le garçon profite de l’absence de Rosamelia, pour explorer plus avant le bâtiment et de tenter de rencontrer « Mamie Nuit », la directrice de l’établissement que nul n’a jamais vue. Enhardi par l’absence de châtiment lorsqu’il met le pied sur la première marche de l’escalier, il pousse une porte massive et découvre une vieille femme tout sourires qui s’empresse de bien les recevoir Shua, Mortimer et lui. Mais la partie de thé improvisée tourne bien vite au cauchemar…

Bruno Enna (Monster Allergy) et Giovanni Rigano (Artemis Fowl, Daffodil, Lys, Monster Allergy ) ont prévenu le lecteur dans le prologue de Salon. S’il ouvre l’album, c’est pour plonger dans un conte gothique où la réalité se déforme pour se peupler de chimères un peu trop vivantes au goût des hôtes de la « Maison de la Nuit », où la Mort rôde, prête à s’abattre à tout moment, où les enfants, qui n’ont jamais été ni sages ni bons, risquent de recevoir à tout moment le salaire amer de leur désobéissance.

Dès les premières pages, le ton est donné par une allée sombre à la végétation luxuriante et hostile qui cède ensuite la place à l’atmosphère oppressante et angoissante d’un manoir sombre, aux recoins rongés de ténèbres. C’est dans ce cadre peu rassurant que se déroule l’huis-clos proposé par Bruno Enna. Celui-ci développe un récit regorgeant d’onirisme et d’un suspense glaçant, titillant la curiosité autant que l’inquiétude, ménageant les craintes avec finesse pour mieux faire intervenir des créatures effrayantes. Il ouvre les portes de mondes fantastiques et terribles s’encastrant les uns dans les autres, forçant les protagonistes à les franchir et les passer un par un pour fuir vers une lumière toujours visible mais hors de portée. À travers des songes – éveillés ? – dont il est difficile de savoir s’ils ne sont que des mauvais rêves ou des souvenirs qui affleurent dans un environnement pernicieux, le scénariste distille également au fil de l’histoire des renseignements à propos de Kriss et de ses compagnons, mais aussi des forces qui s’agitent dans le vaste orphelinat. La seule personne entourée d’un mystère persistant est Rosamélia, apparue au début avant de s’éclipser nul ne sait où, mais dont il est certain qu’elle tient un rôle non négligeable dans l’intrigue. À la façon des fables légèrement grinçantes, l’auteur dévide tout un périple au long duquel fleurissent les surprises funestes et où les apparences s’avèrent toujours – jusqu’à preuve du contraire – trompeuses. C’est ainsi que l’aïeule potentiellement inoffensive, entourée de ses chérubins certes trop lisses, se métamorphose sans coup férir en une Charybde dentue servie par une armée de pantins œuvrant à sucer, extirper, la douce et savoureuse moelle de la mémoire, le nectar de la vie, des sentiments et de la joie. Les battements du cœur – celui en papier (comment est-ce possible ?) de Kriss, comme le nôtre - s’accélèrent donc, suivant le rythme des évènements, pour conduire fatalement à un clifhanger où une inévitable Scylla se profile, la main déjà prête à frapper.

Accompagnant et portant ce premier tome, le crayon de Giovanni Rigano campe des enfants aux visages expressifs encore légèrement ronds, tâches de rousseur et morve (ou peu s’en faut) au nez, effronterie dans le regard et l’attitude. Ceux-ci apparaissent à la fois intrépides et fragiles, abandonnés, solitaires dans un environnement un rien figé. Aidé par la mise en couleurs aux tons passés du studio Blinq, le dessinateur crée une ambiance épaisse et sinistre à souhait grâce, entre autres, à des décors fourmillant de détails macabres et cafardeux. Pour renforcer cette impression lourde d’oppression et de surveillance, il pare ses cases aux contours tremblotants de longues ronces, de colonies de scolopendres qui semblent ramper sur la peau comme sur les pages, ou il y fait battre férocement le pouls de la grande pendule du hall. L’effet horrifique est garanti et prend aux tripes, les visions cauchemardesques se muant en tableaux savoureux, la hideur terrifiante devenant délice.

Bien construit et bien raconté, Salon ouvre une série accrocheuse qui trouve parfaitement sa place dans la collection Métamorphose des éditions Soleil. Et pour prolonger le plaisir, les auteurs offrent une dizaines de feuillets narrant l'histoire de Shua avant qu'il intègre la "Maison de la Nuit". Pourquoi résister à la tentation ? Mettez le pied sur la marche, et lancez-vous !

Par M. Natali
Moyenne des chroniqueurs
7.0

Informations sur l'album

Cœur de papier
1. Le Salon

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Note: 3.7/5 (18 votes)

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L'avis des visiteurs

    snip Le 28/08/2016 à 12:11:08

    Univers étrange qui m'a évoqué Alice au pays des merveilles... version adulte ou ado. Un texte à la fin qui est bien écrit et qui donne envie de voir au moins 2 autres tomes. Dommage qu'il n'y ai pas eu de suites. Ça n'a peut-être pas très bien marché. Il faut dire que c'est quand même particulier et pas évident à vendre même si plein de lecteurs pourrait accrocher au scénario (amateurs de Tim Burton notamment) et dessin très fouillé.

    aelia Le 21/06/2014 à 17:07:18

    On m'avait offert cette bd et j'ai adoré cet univers étrange et onirique
    A quand une suite? Déjà 4 ans d'attente