D
ans la fratrie Hernandez, si Jaime incarne la perfection graphique (Locas), c’est Gilbert qui donne à la série Love & Rockets sa pleine dimension.
C’est en maître qu’il parvient à tisser une incroyable épopée faite de mailles d’histoires, un enchevêtrement de micro-récits, où, aux digressions les plus surréalistes, se mêlent des motifs récurrents, et où la profondeur vertigineuse n’a d’égale que la multiplicité des mises en abyme.
La distribution est à la (dé)mesure du projet. Les personnages sont innombrables, les portraits parfaits, les figures aussi réalistes et vivantes que passionnantes d’ambigüité. Palomar, c’est de la littérature par prolifération, c'est aussi la saga de la famille Martinez : une famille dysfonctionnelle, à la fois composée, recomposée, décomposée, dont la généalogie - complexe, rhizomique - s’étend sur plusieurs générations.
Au cœur du récit, il y a la question de la filiation ; à l’origine, il y a Luba. Elle était Palomar : elle en était le maire, elle est aussi la matriarche. Luba incarnait le processus de maternalisation par lequel une femme devenait, souvent malgré elle, la mère de ses filles et s’inscrivait – et les introduisaient par là même - dans la succession des générations. Le départ de la famille pour la Californie aurait pu signifier la fin de ce processus. Aussi, l’exil de Palomar (ce petit village quelque part au sud de la frontière mexicaine, cette métaphore du monde) vers une contrée étrangère était-il synonyme de déracinement.
Il n’en est rien, et c’est tout l’objet du premier tome de cette nouvelle trilogie. A cet égard, il n’est pas anodin que les Lettres de Vénus forment une sorte d’introduction au volume. La nièce de Luba est la seule à même de perpétuer le processus, d’inscrire la famille (et la série) dans la durée. Quand Doralis, la fille de Luba, ne saurait l’être au drame de sa mère, quand Petra se refuse à grandir, quand Fritz fait preuve de toujours autant d’inconstance, Vénus est celle qui, par sa précocité, son intelligence, sa force de caractère, est susceptible de s'approprier la capacité à engendrer comme possibilité d’un nouvel enracinement sur une terre qui serait à la fois celle de ses origines et de sa descendance. Luba, c’est l’histoire d’une fin et d’un commencement, celle d’une rivière empoisonnée qui se fait le lit d’un petit ruisseau qui charrie l’espoir.
» Dans la série Love & Rockets, lire aussi les chroniques des deuxième et troisième tomes de Locas, la chronique de L’enfer est pavé de bonnes intentions, ainsi que celle de La rivière empoisonnée.
» Lire aussi la chronique de Sloth, les paresseux.
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