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ettez un Sioux dans votre vie ! En 1879, Irving McMulligan, parangon du self-made-man à l’américaine, inventait un procédé exclusif permettant de mettre les Indiens en conserve. Grâce à la Mulligan’s Tradition Inc., le rêve américain s’exporte désormais dans le monde entier. Qui refuserait en effet "Le Far-West à la maison pour 19 euros seulement", surtout quand la boîte existe aussi en format familial !
Pour ce couple de retraités poitevins, la tentation est bien trop grande, mais l’appartement ne l’est manifestement pas assez. A mesure que la famille indienne prend ses aises, improvise un canoë dans le buffet ou dresse un tepee dans le salon, le couloir prend des allures de canyon et la cuisine est progressivement colonisée par des chercheurs d’or qui n'hésitent pas à dynamiter les canalisations. La voisine du dessous ne tarde pas à se plaindre d’infiltrations d’eau. Il n’en fallait pas plus pour que déferlent les services de l’immigration (et de l’identité nationale) : c’est qu’à la différence de l’Ouest sauvage, il est exigé, dans l’Occident modernisé, que l’on justifie de son identité et de la régularité de son séjour… L’appartement est assiégé, le vestibule occupé. Le petit groupe doit se retrancher dans les forêts de la chambre à coucher. C’est de survie dont il s’agit désormais, d’une ultime insurrection de l’imaginaire, quand bien même la résistance serait dérisoire ou la guerre déjà perdue.
Avec beaucoup de rigueur et de minutie, Gabriel Stento et Guillaume Trouillard s’emploient à décrire un univers burlesque où chaque situation est poussée à son extrême absurde : autant de variations surréalistes sur des thèmes qui imprégnaient aussi le précédent album de Guillaume Trouillard : Colibri. Dans ce dernier, préfigurant les conserves d'humains de La Saison des flèches, apparaissait déjà, sur l'une des dernières planches, un indigène pêchant des sardines en boîte sous les flashes des touristes. Ici, tandis que de vastes plaines repoussent les murs, que l'aquarelle s'émancipe des contours du crayonné, il est encore question du rapport de l’homme à la nature, de l'urbanisation effrénée et du mépris pour les peuples premiers. Le paternalisme vaguement condescendant du colonisateur est ainsi mis en scène au travers des quelques extraits édifiants d’un mode d’emploi, d’un dépliant publicitaire ou des illustrations confondantes d’un livre d’histoire. A parcourir leur carnet de bord, nos charmants retraités paraissent aussi hésiter un temps quant à la conduite à tenir, sans que l’on sache si leur revirement est inspiré par le mythe rousseauiste du bon sauvage ou par la charité bien ordonnée que commande la morale bourgeoise. C’était, il est vrai, avant la visite du photographe ethnologue Edward S. Curtis (The North American Indian), lequel, au début du XXe siècle, avait pris conscience de l’importance de faire connaître au monde les traditions amérindiennes sans pour autant les réduire à des attractions parquées dans des réserves ou les mettre sous vide dans des cylindres de corned-beef à longue conservation.
La Saison des flèches inaugure un nouveau genre : le "western d’intérieur". Décapant.
» A lire aussi, la chronique de Colibri.
Objectivement, la saison des flêches représente une oeuvre fraîche et originale. On couple des pages de textes avec des images pour des séquences mêlant absurde et humour. C'est farfelu mais très bien pensé. Il y a des idées à foison qui sont très bien exploitées. Les auteurs reprennent tous les codes du genre western pour les assaisonner à leur sauce interne.
Cela fait partie de ces bd où l'on a rien à leur reprocher. D'ailleurs, l'accueil qui a été fait à cette oeuvre est unanimement très positif. Cependant, personnellement, faire toute une oeuvre sur des indiens qui sortent de boîte de conserve, c'est comment dire, très spécial. On passe un agréable moment. A noter cependant, que les auteurs sont assez bavards tout le long puis nous lâchent subitement et totalement dans un flot d'images à la fin pour laisser libre cours à notre imagination.
Est-ce que cela ferait alors partie de ces oeuvres que j'aimerais lire et relire et qui trôneraient en place centrale sur une bibliothèque ? Peut-être pas, car cela m'a donné que très peu d'émotion. J'en sors pas profondément marqué. Bref, ce n'est sans doute pas mon genre de lecture bien que je reconnaisse toutes les qualités intrinsèques de celle-ci.
Cet album vaut vraiment la peine d'être relu plusieurs fois pour y déceler les références historiques et apprécier d'autant plus le second niveau de lecture -au-delà de l'absurde et de l'humour. J'y ai lu une histoire du génocide amérindien (sur laquelle s'e sont fondée les USA) revisitée. J'aurais donc été plus catégorique dans la qualification du comportement colonisateur ("paternalisme vaguement condescendant du colonisateur" me paraît bien en-dessous de la réalité, toujours assez actuelle des peuples indigènes aux USA). Quant à la référence à Edward S. Curtis, il faut souligner qu'il a, avec ses collections de photos, aussi participé au maintien des clichés du "bon sauvage". Ma chronique complète est disponible sur www.ocarol.be :)
Avec cet album, on entre dans l'absurde directement et on va vers l'outrance progressivement.
Ah oui, les indiens, en voie de disparition, doivent être mis en conserve pour être protégés à travers le monde. Mais il est interdit pour eux de se développer n'importe où. Et les braves gens qui les hébergent et leur font une place dans leur pavillon ne se doutent pas de l'engrenage dans lequel ils ont mis le doigt.
Le dessin, alternant entre aquarelle et figuratif classique, sert parfaitement l'histoire, conte poético-écolo-humaniste sur la protection de l'environnement, des peuples minoritaires et sur ceux qui la mettent en oeuvre.
Cette histoire en dérangera plus d'un car elle atteint rapidement les limites que l'esprit peut concevoir (comment parcourir une banquise infinie dans un frigo lui-même planté au milieu d'une grande plaine où galopent les chevaux ?).
Peut-être la faiblesse du scénario est-elle dans ses bons sentiments finaux mais ce n'est pas très important au regard de la force et de l'originalité de son développement.