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rt Spiegelman et Maus, Maus et Art Spiegelman, rarement une œuvre aura autant collé à son auteur. Cet extraordinaire témoignage a trouvé sa place dans la liste des ouvrages qui ont marqué leur art et mis son créateur dans la position, parfois inconfortable, de "Grand". Après le discutable et discuté À l’ombre des tours mortes, album réaction aux attentats du 11 septembre 2001, Breakdowns s'attache aux débuts de l’auteur. A moitié constitué de récits anciens et à moitié de bandes-commentaires sur le passé de l'auteur, ce volume fait partager aux lecteurs un parcours dessiné qui devait culminer avec la parution de l'œuvre majeure que l'on sait.
Ayant découvert, comme tout petit Américain, les comics grand public, Spiegelman s’est vite aperçu qu’il y avait peut-être plus que les super-héros aux péripéties formatées. Les années soixante battaient leur plein et la presse underground prenait son envol. Après une rencontre avec Robert Crumb, alors au faîte de sa gloire psychédélique, Art commence à publier divers travaux dans les nombreuses revues alternatives du moment. Tout est racontable, tous les tabous se sont dissouts dans des volutes parfumées. Fortement perturbé par le suicide de sa mère - il fera plusieurs séjours en hôpital psychiatrique -, il mêle alors ses plus profondes psychoses aux différentes obsessions du moment (comprenez sex, drugs & rock’n’roll).
Au même moment, l’artiste se met à s’intéresser à l’art, celui avec un grand A. Par l’intermédiaire de Ken Jacobs, professeur à l’université de Berkeley, il commence à se passionner pour les différents mouvements picturaux du XXe siècle. Une nouvelle obsession naît. Pouvait-on associer la bande-dessinée avec le langage pictural ? Ses histoires se transforment alors en laboratoire. Il expérimente différentes voies narratives innovantes aussi bien sur le plan graphique que scénaristique. Dans leur genre, ces récits conservent, malgré les années, une fraîcheur et une modernité étonnantes.
À elles seules, ces étranges histoires ne seraient guère captivantes. Heureusement, l’auteur a pris le temps de les introduire avec humour et autodérision. Les premières pages sont particulièrement intéressantes. Il revient sur ses cases, les retravaille et les met en perspective avec son vécu. La longue postface est également très instructive sur le parcours créatif de l’artiste.
Breakdowns, malgré sa belle réalisation, peut sembler un peu frustre. À y voir de plus près, il s’agit d’une plongée passionnante, aussi bien dans le cheminement créatif d’un auteur que dans l’évolution de la bande-dessinée alternative américaine.
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